Je travaille sur des toiles
de lin brutes que j'enduis moi-même avec un fond puis tout est mis en œuvre
pour arriver à un résultat. Les doigts, les mains interviennent, je dessine et
je peins à la fois jusqu'à ce que les premiers personnages puissent sortir
d'une sorte de matière et de couleur. C'est la matière qui révèle à mesure les
personnages dans la masse du tableau. Je ne commence jamais par un dessin
précis, mais je construis et détruis sans cesse pour laisser surgir les formes.
Je suis directement tributaire de la matière, elle me donne le chemin à suivre.
Il y a des jeux de matières qui viennent ou ne viennent pas. Si les personnages
interviennent malgré moi, j'essaie de les effacer, mais ils continuent toujours
d'exister, d'être présents dans l'épaisseur de la matière. Ils jouent dans la
composition et leur présence s'impose parmi les autres. Ils se correspondent
simplement, car ils sont dans un lieu, rassemblés. Je n'arrive pas à supporter
le concret, il faut qu'il se dilue dans la lumière.
Je travaille dans une matière uniforme, une couleur neutre, homogène, par des
glacis, des recouvrements, des superpositions.
[Extraits d'un entretien de Gilbert Pastor avec Jean-Pierre Sintive]