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Il fallait tout entendre, et pire encore. Et pourtant, il faudrait tenir un cap.
Jusqu'où faut-il remettre les compteurs à zéro ?
1. La déflagration a fait disparaître Jérôme Cahuzac: démission du gouvernement, aveux chez les juges, exclusion du Parti socialiste. Resteront ses mandats locaux à "récupérer" et l'homme aura donc effectivement disparu de la vie publique.
2. Pour l'équipe Hollande, la déflagration est aussi immense à en croire la presse, les opposants au gouvernement, et le choc chez ses supporteurs. L'affaire ne change rien au chômage ni à la précarisation de la société ni à la guerre au Mali. Il y a même fort à parier que les dégâts ne sont "que" politiques, comme à l'époque l'affaire Woerth ou le Karachigate. Le scandale affectera sans doute le redressement partiel ou total des comptes publics puisque d'aucuns retiendront que l'ancien maître d'oeuvre de la rigueur en cours était un fraudeur fiscal. En son temps, Nicolas Sarkozy n'avait pas compris qu'Eric Woerth était devenu un passif pour son action politique: quatre trop longues semaines pour évoquer publiquement l'affaire, un combat clandestin pour empêcher les révélations dans la presse, 6 mois pour démissionner son ministre, l'affaire fut un fiasco.
3. A midi et trente cinq minutes, François Hollande a parlé très brièvement depuis l'Elysée, pour annoncer trois décisions: une réforme de la Justice pour mieux assurer son indépendance (une loi en juillet); un renforcement des contrôles des conflits d'intérêt et notamment du patrimoine (au-delà de la simple déclaration actuelle, donc), et la privation de tous mandats publics pour les élus convaincus de fraude notamment fiscale. Le président évoque un outrage fait à la République.
De mémoire d'électeur, quel président de la République ou chef de majorité a prononcé des mots aussi légitimes et aussi durs à l'encontre de quelqu'un qui siégeait encore voici 15 jours à son Conseil des ministres ?
Après le communiqué sec et définitif de la veille, l'exécution politique est cette fois-ci orale et publique. Des confrères espéraient un appel renouvelé à la lutte contre la fraude fiscale, avec embauche et formation d'inspecteurs du fisc. Cette annonce n'a pas eu lieu.
3. Il y a des appels au changement radical. Le terme a presque autant de sens que de porte-paroles. Il faudrait changer les hommes (et les femmes). Le gouvernement et les députés, la classe politique dans son ensemble ou pire encore. Les envies d'épuration sont aussi nombreuses que si nous sortions d'une dictature impitoyable.
Par lassitude ou par stupeur, nous pourrions souhaiter la dissolution de l'Assemblée nationale. Il y a plusieurs raisons objectives à cela.
- Il n'est pas sûr qu'un simple remaniement gouvernemental change grand chose à l'exaspération ou à la virulence des critiques. Franchement, qui a envie que ce gouvernement réussisse parmi les opposants ?
- L'équipe Hollande nous est présentée comme rincée; tous les sondages (horreur!) promettent, assurent et garantissent qu'elle ne dispose plus du soutien majoritaire de l'électorat. On imagine donc qu'il faudrait renouveler, quitte à provoquer une alternance précipitée.
- Les "solutions" au redressement du pays semblent si nombreuses à l'extérieur du gouvernement et de sa majorité qu'on ne résistera pas longtemps à l'envie de les voir proposées, détaillées et mises en application. Allez, chiche... débrouillez-vous, pourrait-on être tentés de répondre.
Alors, ... chiche ?
Non, la dissolution n'aura pas lieu. Les plus virulents partisans d'un coup de balai général ne la souhaitent eux-même sans doute pas. C'est la première raison. Mardi midi, il n'y avait que Marine Le Pen, sans surprise, pour réclamer une dissolution. Mais l'extrême droite devrait craindre de solidifier un nouveau front contre elle. Nous n'invoquerons pas le fameux "chantage au vote utile". Nous laisserons chacun juger de sa responsabilité.
La droite classique est en ruine, démembrée entre l'UMP déchirée et l'UDI balbutiante. Et à "gauche de la gauche", qui croit à une victoire électorale si des élections avaient lieu aujourd'hui ? Où sont les indices d'une popularité suffisante pour espérer gagner ? Nous serions donc curieux de savoir si le front de Gauche aussi aimerait cette dissolution de l'Assemblée.
Il est aussi difficile d'envisager que François Hollande ait envie de prendre ce risque. S'il dissolvait l'Assemblée, nous pourrions lui reprocher de ne pas assumer, de se défiler, de fuir la difficulté. Il y a fort à parier que le parti socialiste et ses alliés perdraient la majorité de l'Assemblée. Une telle dissolution ressemblerait au coup chiraquien de 1997, un sabordage sans doute plus assumé mais quasiment inévitable.
Reprenons la question: jusqu'où et comment remettre les compteurs à zéro ? Jusqu'où voulez-vous dissoudre l'actuelle réalité politique ?
Il n'y a pas de réponse. Il faut reprendre le cours de l'action politique sur la longueur nécessaire, éviter de courir contre le buzz, résister aux chamailleries, ne pas les provoquer. Il faut aussi, et surtout, quelques signaux forts pour éviter l'accumulation inefficace des signaux faibles.
La République irréprochable n'abdique pas devant ce genre de difficultés.