Au-delà de la hausse de la pression fiscale, l’État, en orientant une partie de l’épargne publique vers des titres qui permettent de refinancer sa dette, inflige une double peine à ses contribuables.
Par Philippe Bruneau et Olivier Raingeard.
La voie du désendettement français, qui passe par un objectif, déjà remis en cause, de réduction du déficit à 3% du PIB en 2013, s’opère principalement par une hausse des impôts. Elle approche, au travers de la deuxième loi de Finances rectificative pour 2012 et de la loi de Finances pour 2013, les 30 milliards d’euros. Si l’augmentation de la pression fiscale était inéluctable, son ampleur fait néanmoins peser un double risque. En premier lieu, elle est susceptible de précipiter le pays en récession, d’autant plus qu’un choc de défiance semble aujourd’hui frapper les agents économiques. En second lieu, avec un taux de prélèvement obligatoire estimé de 46,3% en 2013, le plus haut niveau jamais atteint, la France se situe désormais au troisième rang européen derrière le Danemark et la Suède. Les marges de manœuvre en matière de pression fiscale sont donc très faibles. Et les risques de tomber du mauvais côté de la courbe de Laffer élevés.
Personne ne conteste sérieusement la nécessité impérieuse de revenir à moyen terme à l’équilibre budgétaire. On regrettera cependant que la voie de la réduction des dépenses – 10 milliards d’euros principalement par la reconduction des règles et principes adoptés par le précédent gouvernement – n’ait pas, pour l’instant, été explorée plus à fond. D’autant que la France est, avec un taux de 56% du PIB, la championne européenne des dépenses publiques, très loin devant les 45% de son principal partenaire, l’Allemagne. Dans ce domaine, les marges de manœuvre sont donc considérables.
On regrettera en outre que l’augmentation de la pression fiscale ne se soit pas inscrite dans une stratégie d’ensemble. Que la solution de la croissance, qui réclamerait un choc de compétitivité majeur nécessaire à la restauration de la confiance, n’ait pas fait partie de l’arsenal des mesures. Qu’en conséquences, si les premières mesures pour améliorer la compétitivité et flexibiliser le marché du travail constituent un « choc culturel », elles restent insuffisantes par la taille – les mesures de compétitivité représentent 1% du PIB contre 1,5% recommandé par le rapport Gallois – et sont sujettes à un risque d’exécution. On le regrettera d’autant plus qu’à cette imposition visible s’en ajoute une imperceptible mais aux effets bien réels : la répression financière.
La répression financière se manifeste lorsqu’un gouvernement prend des mesures pour orienter au profit de l’État des fonds qui, en l’absence de réglementation du marché, iraient s’investir ailleurs. Elle s’appuie généralement sur deux piliers : le plafonnement explicite ou implicite des taux d’intérêt nominaux à de faibles niveaux ; la création ou le maintien d’une base d’investisseurs domestiques destinés à financer les dettes publiques. Mise en place au sortir de la seconde guerre mondiale par les États afin de purger leurs dettes, elle annonce son grand retour.
En effet, la politique monétaire de la Banque Centrale Européenne (BCE) – matérialisée par un taux d’intérêt directeur de 0,75%, par deux opérations de refinancement à long terme et par son nouvel outil d’intervention sur la dette souveraine – et les réglementations Bâle 3 et Solvency 2 ressemblent furieusement à l’arsenal traditionnel de la répression financière. À la différence près que celle d’aujourd’hui est plus discrète et sans doute involontaire. Car, d’une part, les nouvelles règles prudentielles – favorables au recyclage des dettes publiques des pays développés, actif considéré sans risque pendant plusieurs décennies – sont principalement destinées à renforcer la résilience du système financier. D’autre part, la BCE – indépendante par statut – cherche à prévenir le risque de déflation et à assurer la stabilité du système financier.
La conséquence de ce phénomène est que la répression financière contribue à une douce euthanasie de l’épargnant. En effet, l’État français s’endette aujourd’hui à des taux compris entre 0% et 2,3%. Avec une pression fiscale récemment accrue sur les revenus et le capital et une inflation de l’ordre de 2%, le rendement réel servi aux épargnants est compris entre -2% et -4%. Il y a donc un transfert définitif de richesse des créanciers, ici l’épargnant, vers l’emprunteur, l’État, via une fiscalité visible et une autre moins perceptible mais néanmoins réelle qui fait office de double peine.
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Philippe Bruneau et Olivier Raingeard sont directeur central et chef économiste de la Banque Neuflize OBC.