03 avril 2013
Il était une fois un calife aussi sanguinaire que frustre, dont l’unique objectif était d’être reconnu comme écrivain. Il ne savait que massacrer ses semblables, il provoqua donc une guerre de huit années contre ses voisins, qui laissa les deux peuples exsangues. Mais l’inspiration ne vînt toujours pas. Alors, il s’attacha le talent d’un poète emprisonné, mais son roman, même réécrit, fut également un désastre …
L’encre brute, c’est l’or noir et ici, c’est un conte : celui de l’histoire entrecroisée d’un jeune et brutal truand : Al-Majid – et d’un poète inspiré, autrefois son ami, Sharif Norouz. Dès le deuxième chapitre, on comprend qu’il s’agit de Saddam Hussein, grossier assassin devenu dictateur, provoquant, avec la complicité des puissances occidentales, la ruine absolue des peuples de Mésopotamie, berceau de la civilisation occidentale.
Dans une langue délicatement ornée, inspirée (?) de Saint-John Perse, l’auteur nous transporte sur les champs de bataille de la guerre contre l’Iran, puis de l’attaque sans issue de l’émirat du Koweit. La poésie est l’unique armure de Sharif, elle lui permet, avec l’arak, de traverser comme en lévitation l’horreur absolue de la dictature. Il se retrouvera, avec la belle Jasmine, tout aussi paria en Europe où ses vers ne lui permettront pas de vivre. La boucle du paradoxe est bouclée.
Avec lui, nous traversons les champs de pétrole noirs de lourde fumée âcre, les étendues poisseuses de sable où n’en finissent pas de se consumer les carcasses éventrées des blindés, comme les cadavres des combattants des deux bords pourrissant dans les marais du Shott-el-Arab. Les soldats de Saddam combattent des vagues successives de vieillards envoyés au-devant des tanks pour nettoyer les champs de mines. Et, pendant ce temps, le Raïs tente d’écrire les chapitres de ce qui deviendra un roman à l’eau de rose « Zabiba et le Roi », traduit en dix-sept langues et publié à coups de pétrodollars en 2000.
Pourquoi donc écrire aujourd’hui un roman sur cette triste aventure ? Il ne s’agit ni d’histoire – encore que nombre de faits inconcevables sont pourtant réels – ni d’une intrigue haletante. Cependant, je l’ai lu jusqu’au bout en une grosse journée. Un exercice de style sur l’inspiration littéraire et la puissance de l’esprit. En le lisant, s’est imposée à moi l’image du capitaine Henry de Bournazel et sa légende : celle d’un officier valeureux et élégant auquel sa cape rouge conférait une protection absolue contre les balles berbères et qui mourut le seul jour où il ne la portait plus … ainsi les vers de Sharif, le héros de ce roman étrange, lui permettent d’échapper à son destin …
Encre brute, roman de Jérôme Baccelli, édité chez Pierre Guillaume de Roux, 231 p. 22€.