- Allemagne
- Art
- Exposition
Le titre de l'exposition renvoie très clairement à l'ouvrage éponyme de Mme de Staël. Le but consiste en effet à savoir s'il y a un art allemand. Ou plus exactement, car ce projet est finalement peu explicite, s'il y a un art qui accompagne l'émergence politique de Allemagne, en tant que nation. Voici une question éminemment géopolitique : l'art, expression de l'identité, peut-il expliquer une représentation identitaire de la Nation ? L'art peut-il contribuer, implicitement (je ne parle pas des arts officiels, de l'art pompier de la III° république aux arts impériaux des totalitarismes) à la formation nationale ? Intuitivement, la réponse est positive. Il convenait de le vérifier avec cette étrangeté qu'est l'Allemagne, dont on peut dire aussi bien qu'elle est un mystère entourée d'un secret camouflé dans une énigme. Je sais, c'est sir Winston parlant de la Russie, mais convenez que pour un esprit français, l'Allemagne restera toujours difficile à comprendre. Un détour artistique, par cette nation si artistique, aidera peut-être.
Une nation artistique, justement, et là réside un des choix de l'exposition : ne pas faire allusion aux autres dimensions artistiques, au reste de la culture (Kultur, au sens de civilisation) allemande, par ailleurs si prolifique. L'exposition demeure plastique, et picturale. C'est une exposition de peinture.
Son projet est énoncé dès l'abord : il y a trois âges dans la période couverte, qui part du début du XIX° siècle jusqu'à la veille de la deuxième Guerre mondiale : la portée est audacieuse, et explique la nécessité du discours pour expliquer une telle ambition.
- le premier moment serait celui où l’art allemand montre une fascination pour les Grecs. Mais ce serait trop simple, et le commissaire veut démontrer qu'au choix initial d'Appolon, répond l'hésitation et l'excès Dyonisiaque, en fin de période
- le deuxième moment, parfois simultané, serait celui de l"hypothèse de la nature : à la fois comme outil de représentation scientifique et comme inspiration de force vive et ténébreuse (qui dépasserait le simple romantisme).
- enfin, un troisième âge succéderait à la première Guerre mondiale, entre fascination machiniste et désolation face aux excès de la guerre.
La première période convainc sans convaincre : pour tout dire, le retour à l'antique ne saurait se résoudre aux seuls Grecs (même si l'on pense à Hegel ou à Nietzsche) : nazaréens, gothiques, admirateurs de cathédrales, voici autant de sources d'inspiration qui valent aussi bien, d'autant que l'expérience historique allemande renvoie au Saint Empire Romain Germanique, et donc à la vieille fascination pour Rome. Car l'époque est à Goethe, qui dans la suite du Sturm und Drang, écrit le Voyage en Italie. L'Allemagne a toujours eu une fascination pour l'empire, quand la France optait pour la royauté. Il n'empêche : les toiles exposées surprennent et si von Marées ne parvient pas à convaincre, on est séduit par le Suisse Böcklin.
La deuxième partie est la plus intéressante. On reste sceptique devant l'approche scientifique et les essais de théorie des couleurs de Goethe. La première découverte est celle de Philipp Otto Runge qui est plus qu'un épigone de Botticelli : le Repos pendant la fuite en Égypte est somptueux de douceur. Surtout, surtout, on découvre le maître autour de qui pivote de l'exposition, Caspar Friedrich : bien plus qu'un romantique, bien plus que le peintre de la fascination allemande pour la nature puissante et mystérieuse, il est un peintre qui sait montrer les brumes et le rêve. Sensationnel.
La troisième partie déçoit un peu, car elle manque de peinture, justement. Une première partie évoque la fascination pour la puissance industrielle. Et si la projection d'un extrait de Metropolis de F. Lang est une excellente idée, il manque d’œuvres pour illustrer la "montée en puissance" de l'Allemagne industrielle. En revanche, les suites de la Guerre montrent des œuvres méconnues et saisissantes. Face à Otto Dix et ses eaux fortes, on ne peut que penser à Jacques Callot_ et aux malheurs de la guerre. Les toiles peintes sont toutes fortes et violentes, de l'Ecce homo de Lovis Corinth à l'enfer aux oiseaux de Beckmann__.
Il reste qu'il n'y a aucune allusion à l’expressionnisme ou au Blaue Reiter, que Klee n'est mentionné que face à Goethe, que Wagner n'est pas cité, et que si on parle de Mme de Staël, la bataille d'Iéna en 1806, autrement fondatrice du fait allemand, n'est pas dite. L'exposition qui se voulait didactique reste presque sobre en explications, justement autour de ces choix. Le catalogue, très bien construit, permet heureusement d'aller fouiller ce qu'on n'a pas eu pendant le parcours.
Sort-on de là avec une meilleure compréhension de l'Allemagne ? oui et non. Le triptyque Goethe - Friedrich - Otto Dix constitue à coup sûr un jalon qui permet de mieux appréhender l'objet de la curiosité. Un très utile complément, parfois déroutant sur le plan de l'art, mais à coup sûr innovant et faisant découvrir des œuvres absolument méconnues. Pour cela nécessaire. Mais certainement pas suffisant.
De l'Allemagne, au musée du Louvre
O. Kempf