En dépit de la résilience de la croissance de l’économie marocaine face aux turbulences de la conjoncture internationale défavorable, et l’amélioration du taux de croissance sur la dernière décennie, le chômage en général, et celui des jeunes en particulier, reste inquiétant, tournant autour de 22%, soit 2 fois et demi le taux national. Pourquoi la croissance marocaine ne crée-t-elle pas suffisamment d’emplois au profit des jeunes?
Cette situation a souvent été attribuée, d’une part, à l’insuffisance et à l’irrégularité de la croissance marocaine, et d’autre part à l’inadéquation de la formation aux emplois. En effet, suivant les projections sur le HCP, pour maintenir le volume de chômage à son niveau actuel, compte tenu de l’évolution de la population en âge de travailler, l’économie marocaine doit créer au moins 170 000 emplois, ce qui supposeune croissance annuelle d’au moins 6%. Or, sur la dernière décennie, le taux moyen de croissance n’a pas dépassé les 4,8%. Pire, l’évolution en dents de scie de cette croissance, au gré du niveau de la récolte agricole, limite la capacité de l’économie marocaine à créer suffisamment d’emplois. De même, les profils des jeunes chômeurs ne correspondent pas aux attentes des employeurs marocains.
Si ces facteurs comptent bien évidemment, ils ne peuvent suffire pour comprendre tout le phénomène. L’analyse du modèle et des composantes sectorielles de la croissance apporte un nouvel éclairage.
En effet, avec une croissance marocaine fondée sur la stimulation de la demande interne, satisfaite par les importations, le soutien au pouvoir d’achat apporté par le gouvernement, n’a pas profité aux chômeurs marocains, mais, pour faire « court », aux travailleurs étrangers. Car ce modèle n’a fait qu’aggraver les déficits budgétaire et commercial, ce qui, en réalité, impacte négativement la création d’emplois. Par ailleurs, la consommation interne, contribuant pour 67% à la croissance du PIB, a peu d’impact sur l’emploi, puisque avec 10 créations d’emplois directs, elle ne crée qu’un seul emploi indirect. Alors, que l’investissement, avec une plus grande capacité de création d’emplois indirects (5 indirects pour 10 directs), ne contribue qu’à hauteur de 46% à la croissance du PIB. Avec un tel modèle déséquilibré, pénalisant l’investissement privé, la faiblesse des emplois créés n’est plus une surprise.
Concernant la ventilation sectorielle de la croissance, elle montre de grandes disparités entre les secteurs dans leur capacité à créer des emplois suffisants, quantitativement mais aussi qualitativement. Effectivement, si le taux de croissance annuelle moyenne a doublé entre les années 90 et les années 2000, cette amélioration n’a pas été accompagnée par un changement notable des structures économiques, en faveur des activités à haute valeur ajoutée, mobilisant les hautes qualifications. Les secteurs de l’agriculture, du bâtiment et travaux publics (BTP) et des services, qui contribuent pour 80% au PIB, continuent d’être les principaux employeurs avec près de 93% des emplois. Pourtant, ces secteurs se distinguent par la faiblesse de leur capacité à créer des emplois. Ainsi, avec une création de 10 emplois directs, l’agriculture ne crée que 2 emplois indirects, le Bâtiment et travaux publics 2 et les services 3. Intensifs en emploi, ces trois secteurs participent peu, aussi directement qu’indirectement, au recrutement de la main d’œuvre qualifiée. En moyenne, les deux tiers de l’emploi cumulé créé par ces secteurs s’adressent à une main d’œuvre sans qualification. Pendant ce temps, le secteur de l’industrie, qui crée autant d’emplois directs qu’indirects et a vocation à mieux valoriser les qualifications, a connu une baisse de sa part dans le PIB qui a régressé de 18% en 2000 à 14% en 2010. La prédominance de l’emploi de faible qualification renvoie donc à la prédominance de secteurs à faible exigence en matière de qualification, mais aussi à la structure de l’économie nationale composée à 95% de PME à caractère patrimonial et à faible taux d’encadrement. D’où leur faible appel aux jeunes diplômés, notamment les lauréats des universités qui en souffrent le plus, puisque leur taux de chômage atteint les 22%.
Pour que la croissance marocaine soit créatrice d’emplois suffisants quantitativement et qualitativement, il faut miser sur l’industrialisation et l’investissement privé. Cela implique, d’une part, le changement du modèle de croissance dans le sens de son rééquilibrage et de sa cohérence avec la stimulation de l’offre interne et la coordination des stratégies sectorielles, et d’autre part, l’accélération des réformes visant la consolidation de l’état de droit, l’amélioration du climat des affaires, et la lutte contre l’économie de rente, terreau nécessaire à l’éclosion de nouveaux investissements. En l’absence d’une stratégie de croissance inclusive au profit des jeunes, le Maroc pourrait assister à un deuxième round du printemps arabe.
Hicham El moussaoui est maître de conférences à l’université de Beni Melal et analyste sur www.LibreAfrique.org. Le 2 avril 2013.