Il y a déjà eu pas mal d’analyse de la pesante intervention du chef de l’État jeudi dernier qui aura laissé de marbre plus des deux tiers des Français : sur le plan de la communication, c’est un échec cuisant. Cependant, pour ce qui est de la stratégie générale qui consiste à prolonger l’augmentation des impôts et accroître les ponctions, c’est une réussite : personne ne semble s’en soucier vraiment.
Décidément, la technique des petites touches successives fonctionne à merveille. Et si elle marche à l’évidence pour les questions sociétales où il s’agit de dégommer du méchant patriarcat, cela marche aussi bien avec les histoires d’argent où il s’agit de dégommer du méchant riche, ou, plus prosaïquement, de renflouer les caisses de l’État afin que, comprenez-vous, la solidarité et la redistribution des richesses puisse continuer comme devant.
Pourtant, le doute n’est absolument pas permis : on peut toujours affirmer que les déclarations fiscales seront simplifiées, les montants, eux, vont augmenter, à raison de 20 milliards d’euros tout de même, c’est-à-dire, selon les petits calculs comiques d’un Moscovici de moins en moins à l’aise, 10 milliards pour les ménages et 10 milliards pour les entreprises, ce qui va se traduire par 20 milliards pour les ménages d’une façon ou d’une autre (eh oui : les entreprises ne paient pas d’impôts : soit ce sont ses consommateurs qui le font pour elle, soit ce sont ses salariés, notamment lorsqu’elle en diminue la quantité).
Et pour les économies ? Rien. Nada. Kedal. À part peut-être les bics et les post-it …
Des impôts qui gonflent, une austérité qui ne veut surtout pas montrer le bout de son nez, des « économies » qui sont, in fine, une petite baisse de régime des sprinklers à pognon … Et on sait déjà que ce ne sera pas suffisant, au rythme où vont les choses : même avec des massages cardiaques vigoureux sur ses statistiques, l’INSEE n’arrive pas à publier autre chose que des résultats déprimants comme une dette qui bat des records, des déficits qui continuent à grimper joyeusement, un pouvoir d’achat qui sombre.
Il va donc falloir préparer tout le petit peuple corvéable à d’autres mesures peu populaires. On ne parlera ici pas du tout de ceux qui ont plus de 100.000 euros sur leurs comptes. Après Chypre (et une petite ponction de 60% !) ce serait indécent, voyons ! Oublions-les.
Parlons plutôt des classes moyennes. Pardon, des riches, ceux qui ont encore un bas de laine, dans lequel ils puisent d’ailleurs goulûment pour arriver à maintenir leur niveau de vie, les petits fripons. Expliquons sans attendre à ces classes dont l’opulence est jetée à la face des plus pauvres pourquoi la gauche doit se sentir détendue de la matraque fiscale. On pourra leur dire par exemple qu’augmenter les impôts, c’est non seulement nécessaire, c’est même carrément bien ; de toute façon, « soyons réalistes : la majorité précédente a gouverné dix ans et a déjà fait une grande partie des économies possibles ». Oui, soyons réaliste, ça se voit très bien toutes ces économies, regardez d’ailleurs les petits graphiques (dont les données proviennent d’Eurostat) : le premier montre qu’en pourcentage du PIB, l’État (central, régional, local et toutes administrations confondues) fait des efforts. N’est-ce pas ?
Et sur le second, où l’on raisonne maintenant en vrais euros qui sortent de votre poche, c’est encore plus flagrant, ces économies et ces grosses baisses des dép… Ah bah non, ça ne se voit pas du tout. Zut.
Ok bon, ce n’est pas limpide limpide, mais l’important est que le message principal, « la gauche peut et doit augmenter les impôts » trouve un écho favorable dans les médias et auprès d’un nombre important de décideurs politiques (notez qu’auprès des Français, l’idée commence à agacer de plus en plus – Eux qui voulaient du changement, allez comprendre !)
Et en parallèle à ces généreuses augmentations d’impôts pour que la République puisse continuer à se montrer bonne fille avec tous (enfin, tous, façon de parler, hein), une autre idée émerge gentiment. Pour le moment murmuré par d’obscurs conseillers et chuchoté par ceux qui cherchent frénétiquement à trouver des thunes pour que le bastringue français ne s’arrête pas brutalement un petit soir de mai ou de juin prochain, le concept d’une ponction sur l’épargne des Français, largement reconnue comme bien dodue, fait son chemin.
Technique des petites touches discrètes et successives oblige, on commence doucement, dans la presse, à montrer que, finalement, la situation française n’est pas comme (au hasard) la situation grecque ou chypriote : eux, ils sont du Sud et de gros dépensiers fraudeurs, nous, nous sommes riches et de vraies fourmis, et on a un gros bas-de-laine ; la France est un champion de l’épargne mes petits amis. Rassurant, non ?
…
En novembre 2012, je faisais un petit billet pour rappeler qu’à un moment ou un autre, la fine équipe de Hollande allait se réveiller et choisir une méthode ou l’autre pour renationaliser la dette française, probablement en tapant dans les assurances-vie ou, directement, dans l’épargne courante des Français. Bien sûr, à l’époque, cette manœuvre semblait n’être envisageable que pour un gouvernement désespéré et un Etat complètement lessivé, avec une probabilité d’occurrence faible. Depuis, les événements de Chypre donnent une idée de la façon dont cela pourrait se produire : un vendredi soir, les banques ferment et ne rouvrent plus pour une, deux, trois semaines, le temps de régler « quelques détails » … (ou plus du tout, si cela ne se passe pas bien du tout).
Bien sûr, cela ne pourra arriver en France. Impossible.