Au terme de la semaine de la langue française (16 au 23 mars) succédant à la journée internationale des droits des femmes (8 mars) – mesdames, nous sommes bien d’accord, notre journée c’est tous les jours !, ma lecture de l’ouvrage Pourquoi les femmes se font toujours avoir d’Yves Deloison tombe à pic.
Il considère que l’égalité passe par la réforme de la grammaire et du vocabulaire.
La prise en compte du genre dans la langue se révèle-t-elle une excellente arme pour faire bouger les représentations, pourrait-on s’interroger. Cette question fait écho à l’article que j’ai écrit pour le blog More than Words « La langue française serait-elle misogyne ? », qui relatait, à l’époque, la polémique soulevée quand des associations ont lancé une pétition demandant la modification de la règle de grammaire selon laquelle le masculin l’emporte quand plusieurs noms doivent être accordés avec un adjectif.
Pour faire court, cela s’illustre ainsi : « Que les hommes et les femmes soient belles ! » - pétition de quatre associations L’égalité, c’est pas sorcier, La Ligue de l’enseignement, Le Monde selon les Femmes et Femmes Solidaires qui demandent à ce que la règle actuelle soit remplacée au profit de la règle dite "de proximité", qui veut que l'adjectif s'accorde avec le nom le plus proche.
Dans mon article, je relatais que si certaines féminisations sont souvent anciennes – pour l’essentiel, des métiers réservés aux femmes – certains noms de métier se prêtent mal à la forme féminine d'après certains. En l’exemple : apprentie, domestique, employée, marchande, ouvrière, patronne… ou enore (le nom étant le féminin normal du mot masculin) : blanchisseur/blanchisseuse ; boulanger/boulangère ; comédien/comédienne ; couturier/couturière ; cuisinier/cuisinière ; instituteur/institutrice… Pour l’essentiel, des métiers réservés aux femmes : bonne, dentelière, lingère, nourrice, sage-femme. Des féminins seraient problématiques : chauffeur/chauffeuse (désignant une chaise basse) ; chef/cheftaine (qui s’emploie chez les scouts) ; chevalier/chevalière (sorte de bague) ; ingénieur/ingénieuse (féminin de l’adjectif ingénieux) ; médecin/médecine (profession elle-même) ; cuisinier/cuisinière (fourneau), mais aussi du fait que la forme féminine risque de paraître ridicule : procureur/procureuse ; professeur/professeuse ; pompier/pompière…
Appelons un chat un chat, pourquoi vouloir écrire « des professeurs femmes », des « sénateurs femmes » si l’on peut écrire des députées, des sénatrices ? alors que l’on constate une féminisation dans les administrations, dans les médias ou tout bonnement dans la vie courante : un(e) comptable ; un avocat/une avocate ; un conseiller/une conseillère ; un laborantin/une laborantine ; un greffier/une greffière ; un coiffeur/une coiffeuse… Depuis le début du XXe siècle, la remarque prévaut dans les sports : une basketteuse, une joueuse de tennis, une nageuse, une skieuse. Le guide publié à la Documentation française sous le titre Femme, j’écris ton nom démontre clairement qu’il y a aucun obstacle à la féminisation des noms de métiers.
Toutefois, l’Académie française reste plus réservée : « En français, la marque du féminin ne sert qu’accessoirement à rendre la distinction entre mâle et femelle. La distribution des substantifs en deux genres institue, dans la totalité du lexique, un principe de classification, permettant éventuellement de distinguer des homonymes, de souligner des orthographes différentes, de classer des suffixes, d’indiquer des grandeurs relatives, des rapports de dérivation, et favorisant, par le jeu de l’accord des adjectifs, la variété des constructions nominales… Tous ces emplois du genre grammatical constituent un réseau complexe où la désignation contrastée des sexes ne joue qu’un rôle mineur. Des changements, faits de propos délibérés dans un secteur, peuvent avoir sur les autres des répercussions insoupçonnées. ». L’Académie française, pour qui en français, le genre et le sexe n’ont aucun rapport, déconseillerait d’employer les néologismes tels que professeure, ingénieure, auteure, proviseure, chercheure à la place de chercheuse, instituteure à la place d’institutrice, écrivaine ou encore députée, sénatrice tant pour l’oreille que pour une question d’intelligence grammaticale.
Linguiste, Louise-Laurence Larivière dans son livre intitulé Pourquoi en finir avec la féminisation linguistique (chez les éditions Boréal) affirme que « la langue a tout ce qu’il faut, grammaticalement parlant, pour féminiser les noms, sa morphologie étant parfaitement équipée pour traduire la distinction en genre des noms de métiers et de fonctions et pour former de nouveaux féminins en offrant une abondance de possibilités ». Elle dénonce la confusion créée par l’utilisation du mot « homme » comme terme générique englobant les hommes et les femmes et par la prétendue neutralité du masculin. Peut-on être égale sans être visible ? Incontestablement non, d’après elle. Le refus de la féminisation tend « à renvoyer les femmes dans la marginalité et à leur nier toute identité propre. Il est évident qu’en reflétant les changements sociaux, la langue transformera à son tour les mentalités ».
Faut-il en finir avec notre grammaire sexiste ? A cette question qu’Yves Deloison rappelle dans son livre, si des femmes considèrent ces revendications féministes comme ridicules, ou encore le débat sans intérêt, voire considérant la langue comme sacrée qu’il est hors de question de changer la règle actuelle, d’autres voient là l’occasion de changer les mentalités.
Pourtant, Yves Deloison met en exergue qu’il ne faut pas sous-estimer le pouvoir des mots, que « la langue reflète les mentalités sexistes et les transmet, voire les enseigne, ce qui ne permet pas les avancées nécessaires pour lutter contre les discriminations ». En somme, que ces revendications ne sont en rien futiles, que comme le considère Henriette Zoughebi, une des conceptrices de l’exposition « L’égalité, c’est pas sorcier ! » : « Mener la bataille pour changer le symbolique dans la grammaire, c’est possible ».
À celles qui pensent que la suppression de la règle de prévalence du masculin sur le féminin au profit d’une règle que les pétitionnaires précédemment évoquées qualifient de bon sens, d’esthétique visuelle, d’harmonie auditive et d’équité n’est sans doute pas pour demain, Yves Deloison exhorte mesdames et mesdemoiselles à agir pour ne plus se faire avoir !
Je vous recommande vivement cet ouvrage, enrichi de témoignages entre autres de Corinne Dillenseger*, de Marlène Schiappa** qui a pour vocation d’éclairer, d’expliquer et d’apporter conseils et astuces pour apprendre à agir concrètement dans son quotidien.
Retrouvez le site dédié à l’ouvrage pour ceux qui ne l’auraient pas acquéri ainsi que la page Facebook.
Yves Deloison est le créateur du site Toutpourchanger.com, et également l’auteur de Je veux changer de job ! et Mes bonnes résolutions pour changer de vie.
La couverture de l’ouvrage est illustrée par Nathalie Jomard, auteure du blog Petit précis de grumeautique.
* https://twitter.com/CDillenseger
** auteure et fondatrice du réseau Maman travaille sur lequel vous pouvez trouver le livre éponyme.