Il y a beaucoup de choses qui surprennent quand on a décidé de s’installer en Israël. Parmi elles, la réalité géographique du Moyen-Orient et toutes les petites bêtes qui l’accompagnent.
Les plages de Tel Aviv sont une belle entourloupe. Tu parades au Banana Beach avec ton Ice Coffee et ton petit bikini, tu bronzes, tu te dis que cette ville a des airs de Miami et patatras, sans prévenir, certains aspects orientaux te rattrapent.
Inexorablement. Inévitablement. Inéluctablement.
Avec eux, les cafards.
Pardon d’avance aux parisiennes qui, en lisant ces phrases, vont émettre un petit cri suivi du fameux » Ah non, moi les cafards, ah « ça », ah non, ah « ça » moi je ne peux pas ! «
Mesdames, vous voilà prévenues. Vous êtes au sud du Liban, entre 36 déserts, définitivement pas à Deauville et dès lors, il faudra vous y faire. Vous aurez beau habiter le superbe loft de vos parents sur la Tayelet, cafards il y avait, cafards il y aura. Avec ou sans vous. Et surtout la nuit.
Avant de continuer, il faut aussi clarifier l’échelle de réflexion. Nous ne parlons pas des cafards français. Nous parlons des cafards israéliens : minimum 5 cm de long, 3 cm de large, des antennes, de grandes pattes qui vont TRÈS vite et surtout, ô oui surtout, des ailes. Qui servent à voler, la nature faisant toujours bien les choses.
Première nuit à Tel-Aviv, je rentre un peu tard. Je croise mon premier cafard, il doit faire environ 7 centimètres, un bon cru. Je pousse le petit cri habituel, cours chercher ma voisine vétérinaire avec qui, c’est décidé, je dois devenir copine.
Le temps de revenir, la bête avait disparu.
Deuxième nuit. Il est là, énorme. Il court, très vite. J’émets le petit cri, cours chez ma nouvelle et grande amie véto. Il a de nouveau disparu.
Certaine (je n’ai pas étudié la biologie animale c’est un fait) qu’il s’agit du même cafard qui revient chaque soir, je décide d’en faire mon allié.
Désormais, si je me lève en pleine nuit, je tape tout d’abord très fort des pieds pour qu’il sache que je suis réveillée et qu’on puisse cohabiter en bonne intelligence. Ça semble marcher. Je me dis, ça y est, je n’ai pas peur des cafards. Je suis une fille extra.
C’était sans compter la cinquième nuit.
Cependant, pour poursuivre, je dois d’abord faire un petit aparté. Il s’agit de «F».
«F», c’est mon voisin de gauche. Il est israélien, il a été commandant dans une unité d’élite et maintenant il étudie la psychologie et les champignons hallucinogènes à Yale. J’ai rencontré «F» en pleine nuit, vers quatre heures du matin. Je rentrais d’une soirée Telavivite avec un Telavivite. Lequel, en bon Telavivite, avait essayé de m’embrasser sans prévenir. Pas très motivée, j’avais tourné la tête et allez savoir pourquoi, une habitude de mes 12 ans a resurgi mystérieusement. Je suis donc partie en courant, le laissant tout seul.
A 12 ans, mes expériences similaires étaient mignonnes. A 25 ans passées, un peu moins. C’est donc un peu penaude que j’erre dans le couloir en plein milieu de la nuit. La véto dort, mon copain D. aussi et je m’ennuie ferme.
Arrive un jeune homme, inconnu jusqu’alors. Je tente le « Whats Up? », n’étant pas encore sûre des moments appropriés pour l’usage de cette expression. Mais qui ne tente rien n’a rien. Il me regarde un peu interloqué, sourit. Sans même lui demander son nom, je me lance: » Hey, I am Laura, I am French, I come from Paris, and I just run away from a guy. I feel stupid and I can’t sleep « .
«F» est sympa, il rigole avec moi, toute la nuit. Jusqu’au matin. Je suis aux anges. «F» est mon nouveau challenge.
L’aparté étant terminé, nous pouvons revenir à cette fameuse cinquième nuit.
Cette nuit-là donc, je dors profondément quand je sens quelque chose bouger furtivement sur mon corps. Réveil en sursaut, hurlements terrifiés. Le verdict tombe: j’ai un cafard dans mon lit et ma copine qui aime les chiens, les chats and co., dort profondément. Une fois de plus. Avec des boules quiès. Cette amitié ne mène à rien.
Je respire profondément. Ayant décidé deux jours auparavant de ne plus jamais m’enfuir en courant devant personne, je n’ai pas le choix. Je dois affronter la bête.
Je suis en nuisette verte et je n’ai pas grand chose sous la main pour me battre. C’est donc armée d’une poêle et de ma tongue gauche que je décide de gérer l’urgence. Je monte fièrement sur mon bureau que j’ai placé juste en face du lit pour avoir une vue d’ensemble efficace. Je me baisse, m’approche, frappe le lit avec la poêle pour forcer le quadrupède à sortir de mes draps, la tongue prête à l’anéantir dans l’autre main. Je m’y reprends plusieurs fois, toujours debout sur mon bureau, toujours avec ma poêle à frire et toujours en nuisette. La bête résiste, je crie un peu mais je décide de tenir bon. C’est le cafard ou moi. Alors je frappe, je frappe, je frappe…
Ma porte s’ouvre. «F» est là, devant moi. Je repense à mon « What’s up » ridicule et à mes histoires d’athlétisme, impuissante. Le destin en a décidé ainsi, la situation devait encore s’empirer.
«F» ne bouge pas. Moi non plus, coincée entre la poêle et la tongue dans les deux mains. Je songe à fuir de nouveau mais pour ça, il faut que je passe par la chaise pour descendre du bureau, ce qui risque d’aboutir à une énième catastrophe.
C’est le silence le plus long de ma vie.
Il faut absolument que je parle, que je prononce quelque chose, n’importe quoi. Mais je ne sais dire cafard ni en anglais, ni en hébreu. Et là, la seule phrase qui me vient à l’esprit pour me sortir de cette situation, ce n’est pas » What’s up« , c’est pire.
« Oh F., what’s up? There are monsters in my bed, this is why I am on the desk « .
«F» a l’air encore plus embarrassé que moi. En bon gentlemen, il poursuit la conversation très naturellement. « Oh hi Laura ! What’s up? So, monsters in your bed tonight? «
« Yes, but just one. I need to kill him. You see, the little brown stuff with wings…”
«F» ne see rien du tout et visiblement ne sait plus quoi faire pour sortir honorablement de ma chambre. Moi non plus, c’est un fait. J’ai envie de disparaître, loin, très loin.
Mais je n’ai pas le temps de trop y songer car arrive alors un autre américain. Et je suis toujours debout sur mon bureau. Je me dis que je ne m’en sortirai jamais, que mon karma passe une très mauvaise passe et que le type que j’ai quitté en courant m’a jeté un sort.
J’imagine mon île paradisiaque sans cafards, sans américains et sans poêle à frire…
**********
Deux ans plus tard, j’emménage avec mon amoureux, bien plus grand, beau, fort et courageux que «F» .
L’été arrive, je décide de lui expliquer que nous devons faire une désinfection de l’appartement pour éviter tout cafard. Bonne élève, je cherche dans le Larousse Français-Espagnol pour lui traduire directement.
Énième choc cafardéen, j’apprends que « La Cucaracha« , que je chante sous la douche tous les matins à cause du CD de Zebda que J. m’avait offert pour mon anniversaire, est une chanson sur … les cafards.
La Cucaracha, cette chanson populaire qui mêle amour et cafards, dont la pertinence m’échappe quelque peu mais dont le refrain ne manque pas de bon sens :
« On dit que le cafard
Est un petit animal
Et quand il entre dans une maison
Il finit par être le patron. »