C’est l’un de ces soirs où la lune peine à me réchauffer, l’un de ces soirs où ma poitrine pourrait éclater de rage mêlée de joies, d’envies, de désirs, de rancœurs, de regrets…Un de ces soirs où mon cœur explose de milles émotions qui le prennent, le malaxent pour finir par l’écraser.
Jusqu’où doit-on aller lorsque l’ »on » se raconte ? Où pose-t-on les limites ? Et d’ailleurs, pourquoi ?
J’ai toujours écrit, sur tout, sur rien, sur moi, les autres, mon monde, leur monde. Celui qui nous sépare.
Écrire et l’humour noir, ce sont mes seuls remèdes. J’ai appris à rire de tout, du meilleur et du pire. Et surtout à m’en moquer. L’ironie n’est pas mauvaise, elle est salvatrice.
Je crois que l’écriture continue à me tirer, à me laver de l’intérieur. Oh certes, il y a moins de drames, moins de choses à réparer. Et puis j’ai appris à pleurer.
Alors je pleure et j’écris. Parfois les deux en même temps. Pour des bêtises ou pour des blessures plus profondes. Et au milieu de tout ce bordel infini, j’ironise et je me moque. Je « souris à la vie« , pour reprendre ces stupides vieux yaourts sveltesse dont j’ai été adepte. Et la tragédie se défait d’elle-même.
Trop sensible m’a-t-on souvent répété. Avocate pénaliste vraiment, c’est ce que tu veux faire dans la vie ? Mais tu sembles si innocente, tu ne feras jamais le poids ! Oui, oui, je suis au courant… Je réponds machinalement avec mon joli sourire de jeune fille en fleurs à cette réaction devenue indifférente et fade. A remarque inutile, réponse superflue.
Oui, on peut se passionner de justice sans ressembler à Thierry Levy et son œil de verre. Oui, on peut éplucher des dossiers de meurtres et avoir peur des films interdits aux moins de dix ans. Oui, oui, oui. Oui, car je suis peut-être une romantique trop sensible, mais je suis une romantique à l’humour cynique. Remarquez la nuance.
Ce soir, un des ces soirs…J’ai travaillé toute la journée, jonglé entre l’écriture d’un article sur la surveillance électronique des personnes condamnées le matin et servi des cafés grands, petits ou allégés, l’après-midi.
J’ai empoché mes pourboires, ce salaire au black si répandu en Israël, l’un de ces pays où un serveur peut mieux gagner qu’un médecin. A ce stade, mon ironie me sert abondamment…
J’ai ensuite attendu le bus en songeant à tous ces français nouveaux immigrants qui vendent du rêve dans des casinos en ligne et qui gagnent presque aussi bien qu’un avocat. Hésité à les rejoindre l’espace d’un instant, pour me reprendre aussitôt. L’hébreu d’abord. Ne perds pas ton objectif de vue, petite sensible cynique.
Un petit vieux a traversé la rue avec son cabas de courses. Il est tout petit, tout fripé, son pantalon éculé à peine raccroché à ses bretelles. Il porte fièrement sa kippa aux milles couleurs et je ne sais pas pourquoi, des larmes coulent de nouveau en le regardant s’asseoir et compter péniblement ses shekels. Il est plus vieux que l’Etat d’Israël, cela ne fait pas de doutes.
D’où vient-il ? D’Europe de l’est ou d’Orient ? D’ailleurs ? Pourquoi et comment a-t-il échoué ici ? Quels sont ses drames à lui ? Quelle est son histoire ?
C’est lorsque je croise ces veilles personnes avec cette étrange modestie mêlée d’une douleur de rescapé qui t’explose en pleine figure…que ma présence en Israël reprend tout son sens.
Et les larmes coulent. Mon amoureux assiste à ce semblant de drame de sensible romantico-cynique. Il ne comprend pas très bien et je me refuse à admettre que mes larmes, c’est ce petit vieux. Je ne pleure pas vraiment, t’en fais pas, c’est juste le climat qui est humide.
Il est un peu déboussolé et tient à m’offrir un petit éléphant violet dont je ne comprends absolument pas l’intérêt. Ce n’est ni un porte-clés, ni un objet d’art. Non, il s’agit purement et simplement d’un petit éléphant violet qui pend à une corde. On rit ensemble de cet objet totalement aberrant. Il me serre fort contre lui.
Puis je regarde mes mails. Et je pleure de nouveau en lisant ce slogan de mai 68 que m’envoie mon père : » Fais que ton rêve soit plus long que la nuit« .
Et entre tout cela, entre mes pleurs et mes rires, j’écris, j’écris, j’écris…