Passer au détecteur de mensonges

Par Laura Duhamel

Comme dans de nombreux pays, il existe en Israël une « culture » des tests préalables à l’embauche. Au programme : tests de personnalité, test graphiques, tests de motivation et… détecteurs de mensonges.

« Eize matshiiiik » (« Comme c’est drôle ! »), m’étais-je exclamée lorsque j’ai découvert la pratique répandue de ces examens. Petite maligne innocente que j’étais.

Vous l’aurez compris, je ne m’étais jamais retrouvée face à cette situation avant et je ne m’y étais encore moins préparée. Car ces examens, c’est comme le TOEFL, avoir un bon niveau d’anglais ou la personnalité adéquate c’est bien, maîtriser uniquement la méthode, c’est encore plus efficace.

Petite différence tout de même : quand tu passes le TOEFL, personne ne t’attache à un siège relié à milles fils afin de vérifier tes réponses…Dès lors, nul besoin de préciser que ce jour là, mon plongeon culturel fut tout aussi soudain qu’étrange.

Lundi matin, entretien d’embauche donc. Le contact passe, je suis détendue.

Et puis soudain…

- « Mademoiselle, pour prouver votre intégrité car vous allez manipuler des données confidentielles, vous devez vous soumettre préalablement à un détecteur de mensonges. »

- « Plaît-il ? »

- « Il s’agit d’un test très sérieux qui sera exécuté par un polygraphe »

- « Un quoi ? »

- « Un polygraphe. Vous avez rendez-vous demain. Bonne chance »

Je n’en saurai pas plus avant le fameux lendemain et après avoir pris le temps nécessaire de rire un peu, je prends celui, plus complexe, de réfléchir à mon « intégrité ».

Quel grand mot…

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Ado, j’étais la championne des antisèches au lycée et outre les contrôles de biologie exécutés chez moi la veille pour être soumis le lendemain (Un grand classique qui ne décourage pourtant jamais certains de refaire les mêmes contrôles chaque année. On aura connu plus malin), j’ai été jusqu’à faire croire un jour à ma pauvre prof d’histoire de Terminale qu’elle avait perdu ma carte  de l’Italie. Le temps quelle la cherche, j’avais déjà recopié le redoublant qui avait donc déjà dessiné pour la seconde fois la dite-botte, adopté ma moue angélique légendaire et ajouté un petit air désolé:  »M’dame, c’est pas grave, ne vous en voulez pas, je la refais pour demain« .

Et hop…le tour était joué.

La raison de tout cela : je n’aimais pas la géographie.

Par principe -car j’en ai quand même quelques uns-, j’avais  donc décidé la veille que je ne ferai pas cette carte, ne la croyant pas notée. Et la gentille dame, la même qui avait téléphoné à ma mère pour savoir si je m’étais remise de ma grippe alors que j’avais juste passé le dernier mois au café du coin…m’avait crue.

J’en profite ici pour lui rendre hommage, c’était une prof extra. Nous lui en avons tous fait avoir de belles mais elle a persisté vaille que vaille et je lui dois beaucoup…

Mais mes 16 ans n’étaient  définitivement pas l’âge de la raison me concernant et j’ai persisté dans la même direction, avec une énergie rare.

M’étant cassée un doigt en maniant un ballon de basket pour la deuxième fois de ma vie, j’avais demandé officiellement l’autorisation de ne plus aller en cours le mois précédant le bac.

« Vous  comprenez, je ne peux pas écrire, ça sert à rien de rester au lycée ».

Le conseiller principal d’éducation étant tout aussi illuminé que mes propositions, avait accepté. Et avec du recul, ce n’était pas si fou. J’ai toujours mieux travaillé seule mais les ados étant toujours des êtres incompris…bref.

Ne manquait donc plus que l’autorisation officielle de ma mère…un peu moins folle que lui.

« Tu t’es crue au souk ? Tu crois vraiment que je vais signer un papier pour que tu sèches les cours un mois avant ton bac ? Tu veux une trih’a (comprendre une gifle monumentale, à prononcer avec l’accent juif-tunisien : «  « une trihhhhhh’a, c’est à dire, ta tête, elle tourne, elle tourne, elle tourne… ») pour y aller plus vite, en cours ?

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Cela dit, exception faite de mes milles et unes magouilles de lycéenne en recherche de limites, je ne voyais pas vraiment  ce qu’on pouvait me reprocher le lendemain chez ce « détecteur de mensonges ».  C’est donc toute à la fois sereine et pleine de curiosité  que je décide de m’y rendre.

« Détecteur de mensonges », ça sonne bien, c’est très américain, je suis une pure frenchie, je vais m’amuser.

Je ne croyais pas si bien dire.

Le lendemain, je suis chez le fameux polygraphe. Une feuille remplie de questions m’attend. Ennuyeuse à mourir.

« Avez-vous déjà volé ? » Oui, sinon on va me croire réellement malhonnête.

« Avez-vous déjà menti à vos parents ? » Oui, je suis encore  un être humain.

« Pensez-vous qu’il est mal de voler ? »

AAAAAAAAHHHHHHHH…..

Restons calme, c’est pour la bonne cause. Les ricains ne sont pas encore complètement arrivés en France, leur fascination  pour les pratiques psycho-comportemento-pseudo-scientifiques s’arrêtera peut être aux frontières d’Israël…ou pas.

Fin du test. L’assistante analyse mes résultats. Une demie-heure se passe. Je m’ennuie ferme.

Arrive le sosie de Derrick, les bretelles en moins.

« Dans quelle langue souhaitez-vous faire l’entretien ? Anglais ou hébreu ? »

Je tente la blague. « En hébreu, comme ça si je veux vous mentir, je n’aurai pas tout le vocabulaire nécessaire ».

« Ce sera en anglais donc. »

La porte claque. Derrick a déjà disparu pour analyser mes « résultats ».

Il revient me chercher, toujours aussi antipathique mais il me rappelle tellement ma grand-mère devant son feuilleton policier de France 3 qu’il me fait sourire malgré lui. J’ai toutefois la sensation étrange d’avoir commis quelque chose de mal, que ce type connait déjà tout de moi, y compris mes fraudes géographiques vieilles de plus de dix ans.

Je pénètre alors dans un bureau plutôt simple, déco sud-américaine aux murs et bibliothèque remplie de livres de psychologie.

Je m’assois, RAS à l’horizon jusque là.

Puis mon regard se déporte à gauche et soudain, horreur, je bascule dans « Orange mécanique ».

A ma gauche donc, il y a un siège relié à milles fils…

Derrick le polygraphe sans bretelles me semble moins rigolo d’un coup. Je l’interroge fébrilement sur cet « appareil moderne de tortures », en hébreu.

Définitivement insensible à mon humour, il me répond calmement, en anglais, tient à m’expliquer pendant dix longues minutes l’intérêt et la logique scientifique de la technique. Précise qu’aux USA « ça marche du tonnerre » et que la Belgique l’a adopté aussi. Effectivement, entre les cow-boys spécialistes des hamburgers et les adeptes de frites capables de passer des mois sans gouvernement… la chaise intelligente ne peut que fonctionner.

(Mes excuses aux américains et aux belges que j’adore… of course…! Ce n’est qu’un billet, pas une analyse ethnologique).

J’admets cependant sa théorie et Orange mécanique devient alors NCIS.

Excitant de nouveau.

Le principe est simple : il me pose des questions sur différents aspects de ma vie et je réponds.

Honnêtement bien entendu. Ah, la jolie arnaque pour rentrer dans ton intimité l’air de rien. Ils sont forts, très forts.

Je me braque naturellement mais mon interlocuteur ne se formalise pas et persiste pendant plus de deux heures. Comme pour se justifier, il indique  que souvent, les clients repartent en lui demandant sa carte de psy.

Non merci Derrick, ça ira, je veux juste rentrer le plus vite possible chez moi. Mettons donc quelques limites de temps en temps.

Après s’être arraché les cheveux sur mon parcours scolaire à l’étranger et mon changement quatre fois d’université, et où, pendant ce temps, c’est enfin moi qui m’amuse plus que lui, Derrick devient fin psychologue et creuse. C’est Marcel Rufo désormais.

Prise au piège du principe du détecteur de mensonges, je suis obligée de répondre. Et allons-y gaiement…

Apres deux longues heures, il me regarde gentiment, enfin. Puis, pour conclure, dans un français presque parfait qui me fait sursauter : » Chapeau mademoiselle « .

J’aurais finalement mis Derrick dans ma poche.

Petit retour de manivelle qui ne se fait pas attendre : « Cependant vous perdez votre temps à vous poser trop de questions. »

« Ah, vraiment, vous trouvez aussi ? »

J’arrive à l’épreuve du siège aux milles fils. Attachée à ces détecteurs de mouvements corporels, je dois répondre aux mêmes questions idiotes de la première demi-heure, avec l’obligation de ne pas le regarder.

Au programme : Avez-vous été envoyée par une entreprise concurrente ? Laura est-il votre vrai nom ? Avez-vous menti quand à votre usage de drogues ?

Mon pouls s’accélère…c’est le serpent qui se mord la queue. Tu te convaincs que tu dois rester calme et plus les questions sont incongrues, plus tu t’agites malgré toi.
Décidément, je ne crois pas dans ces tests, notamment s’ils sont déposés en justice lors d’une enquête criminelle. Pire, je les trouve excessivement dangereux.
Présentés exacts à 92% par les scientifiques, je me demande comment peut-on admettre en justice cette technique. 8% d’inexactitude pour un être humain qui risque des années de prison, cela fait beaucoup tout de même…

Par ailleurs, se fonder sur les réactions physiologiques me semble un postulat erroné à la base. Que fait-on des gens atteints d’hyperhidrose (transpiration excessive) ou plus prosaïquement, du simple citoyen qui, épuisé après des heures et des heures d’interrogatoire, n’est plus en mesure de contrôler son propre corps ?

A mes questions, Derrick, qui a un passé de détective et de criminologue, répond via l’éternel débat populiste : vaut-il mieux un innocent en prison que dix victimes ?

Les avocats lui répondront pour la plupart que l’innocence et les droits de la défense n’ont pas n’a pas de prix dans un État de droit. A raison, et à tort.

Quant à moi, je n’ai pas vraiment d’avis, je refuse de palabrer sur cette polémique éternelle. Faut-il réellement comparer les victimes d’Outreaux à celles d’un délinquant ?

Rien n’est mieux ou pire, et saisir la vérité, même avec les nouveaux tests ADN tout aussi peu fiables que le reste tant chaque fait est interprétable à foison, reste ce qu’il y a de plus compliqué. Nous nous trouvons là dans l’espace infini de la relativité humaine.

Ceci étant dit, mon objectif n’était ce jour là que de passer un  stade de recrutement professionnel, pas de contredire l’essence même du métier de polygraphe. Alors j’ai souri à mon interlocuteur, et j’ai gardé pour moi mes réflexions.

Par ailleurs, en repartant, Derrick s’étant bel et bien déridé, je n’ai pas pu m’empêcher de lui demander sa carte en riant.

Et il a enfin souri de toutes ses dents…Car il n’a jamais eu de carte à donner, c’était juste pour me faire parler.

Très forts, ils sont très forts.