[AVEC spoilers – Ne pas lire avant d’avoir vu le film]
Ce que dit Lou Ye, finalement, c’est l’imprévisibilité des comportements humains. Ceux, justement, que la société actuelle voudrait bien maintenir sous cloche. Le cinéaste n’a rien perdu de son mordant, et déroule à nouveau un cinéma très empreint de rébellion. Et dans le fond, et dans la forme (avec ces plans mouvants et sublimes). Plus les passions sont enfouies, plus elles viennent exploser avec rage donc. La bourgeoisie du film y est grandement entachée, du sang sur toutes les mains. La morte du départ devient alors le punching ball par excellence : l’une lui brisera le crâne à coups de pierre, l’autre la précipitera d’une colline, un autre- encore- viendra s’acharner sur sa carcasse déjà passablement abîmée. Elle n’avait pourtant rien fait de mal, si ce n’est d’être la maîtresse parmi d’autres d’un consommateur de femmes. Ce n’est pas la seule à périr de l’acharnement des plus nantis : il y a ce clochard aussi, figure mutique que l’on achève à coups de pelles, sans lui avoir auparavant balancé quelques yuans au visage. Révélateur. Ce qu’on en commun la jeune sacrifiée, le sans abri et la Nature atrophiée par les constructions urbaines, c’est l’accès au vrai. A la vérité dans son entière atrocité. Tous, ont été les témoins d’un dérèglement général, d’une dissolution des valeurs et de la justice. Le chauffard du départ achètera le silence des enquêteurs et de la mère de la défunte, les péchés des uns couvriront ceux des autres. Le thriller aux accents tragiques de Lou Ye porte en lui un cynisme monstre, monstrueux, et une critique d’un Nouveau Monde impitoyable (vice- argent- pouvoir)., castrateur d’humanisme. Les cœurs y battent encore, certes, mais renferment une terrifiante noirceur contemporaine, directement câblée aux géants réseaux de villes et de sociétés suceuses d’âmes. De quoi, en effet, nous passer ironiquement L’Ode à la joie de Beethoven. De quoi, peut-être, envier ce spectre féminin qui, en conclusion, prend ses jambes à son cou vers un ailleurs plus paisible.