La présence du cinéma Odyssée à Strasbourg permet de découvrir des films qui ont finalement peu de chances d’être montrés sur les écrans français, en dehors de certains festivals. Celui-ci a été présenté aux Oscars américains en début d’année. Je lis des critiques venues de Russie qui soulignent que plusieurs autres films auraient mérité d’être retenus avant celui-ci. Je ne suis pas compétent pour en juger. Si j’ai le temps j’irai voir Faust d’Alexandre Sokurov dont on dit plutôt du bien, dans le prolongement d'une trilogie. J'irai même sans doute puisque la « quinzaine » du cinéma russe dure… trois semaines.
Nous sommes dans l’année 1944. L’armée rouge avance inexorablement vers l’Allemagne. On connaît le résultat et la fin du conflit. Le film ne se lance d’ailleurs pas dans l’uchronie en tentant de revisiter l'histoire, mais simplement dans la science-fiction.
Toutefois l’inexorable se heurte à la présence d’un char allemand mystérieux qui balaie tous les chars russes, mais que pourtant les armées nazies ne connaissent pas. Heureusement le Dieu des chars permet à un tankiste soviétique de guérir mystérieusement bien qu’il ait été brûlé à 90%. Je dis bien le Dieu des chars, puisque après sa guérison, ce tankiste entend les machines de guerre parler. Ils le conseillent même avec précision sur le moment de l’arrivée du merveilleux « tigre blanc » qui surgit pourtant régulièrement du néant, lui permettant d’éviter ses tirs et lui offrant même la possibilité de le blesser sérieusement et peut être mortellement. Un tigre sans conducteur, sans autre vie que son propre pouvoir de destruction et contre lequel la technologie des ingénieurs soviétiques appelée à la rescousse ne peut rien !
Comprenne qui pourra ! Je suis sans doute passé à côté des symboles profonds, ne possédant pas l'âme russe. De quoi veut-on nous parler ? La lutte du Mal fasciste contre le Bien socialiste ? L’incarnation du Diable qui cherche à faire durer la guerre des méchants contre les gentils ? La dignité des soldats, maîtres des machines de destruction inventées par les hommes et derniers recours contre la barbarie des technologies ?
Ou tout simplement le plaisir de l’épopée, des paysages de marais et de bouleaux, une chevauchée des Walkyries où ce sont les russes blancs et toutes les ethnies de l’URSS qui triomphent des Aryens ?
Le film se termine toutefois par une morale. La reddition des armées allemandes est signée dans un apparat tout militaire issu des traditions les plus pures des guerres mondiales précédentes.
A la toute fin, dans la dernière scène, Hitler confesse ses doutes sur le sort qui lui sera fait dans l’opinion des peuples et dans les œuvres des historiens des siècles futurs. Il se confesse à un mystérieux personnage à qui il finit par avouer que même s’il disparaît, rien ne sera terminé : « La guerre, c’est l’état naturel » affirme-t-il ! Et il est certain de passer le témoin à d'autres dictateurs ! Comment le contredire ?
On se souvient de Bertolt Brecht déclarant à la fin de Arturo Ui : « Vous, apprenez à voir, plutôt que de rester les yeux ronds... Le ventre est encore fécond, d'où a surgi la bête immonde »
Et les prisonniers s’éloignent, dans les rues d’une ville détruite de ce qui deviendra l’Allemagne de l’Est. Ils s’éloignent en bon ordre, comme un troupeau traité avec respect. On connaît l’histoire telle qu’elle s’est réellement déroulée. Sans pitié pour les vaincus, sauf ceux qui pouvaient servir les visées politiques du nouveau régime !
Qui est bon ? Qui est mauvais ? L’histoire qui relate et interprète, ou les hommes eux-mêmes ?
Il y a tout de même loin entre ce film et "Guerre et Paix". Mais après tout, il y a loin aussi avec le cinéma magistral de Pavel Lounguine !
« Nous ne sommes pas des bureaucrates diplomates, nous sommes des soldats et rien de plus, continua Rostow exaspéré. On ordonne de mourir et l'on meurt!... et si l'on est puni, eh bien, tant pis, c'est qu'on l'a mérité!... ce n'est pas à nous de juger! S'il plaît à notre souverain de reconnaître Napoléon comme Empereur, et de conclure avec lui une alliance, c'est qu'il faut que ce soit ainsi; et si nous nous mettons à tout juger, à tout critiquer, il ne restera bientôt plus rien de sacré pour nous. Nous finirons par dire que Dieu n'existe pas, qu'il n'y a rien!» ajouta-t-il en frappant du poing sur la table, et ses idées, tout incohérentes qu'elles paraissaient évidemment à ses auditeurs, étaient au contraire la conséquence logique et sensée de ses réflexions. »
Et si Dieu en effet n’existait dans nos lamentations que pour justifier le malheur des hommes ? Et pour expliquer "l’état naturel" de ce qui provoque le malheur ?