Peintures d’Ernest Breleur à l’Habitation Saint – Etienne

Publié le 01 avril 2013 par Aicasc @aica_sc

ERNEST BRELEUR

Peintures 1989 -1994

Exposition du 20 mars au 28 juin 2013

Du lundi au vendredi de 9h30-12h30/ 13h-16h

Les Foudres HSE, Habitation Saint-Étienne,

Gros-Morne, Martinique

Visite virtuelle de l’exposition : http://www.rhumhse.com/art/

 

Homme aux ailes déployées

quelle course vous transporte,

depuis les enfouissements où

baratte la première parole,

jusqu’à ces transparences

d’aujourd’hui, quand la clameur

s’éteint et la prophétie s’établit? *

 

« Cette citation d’Édouard Glissant illustre parfaitement l’ensemble de mon travail artistique. C’est tardivement que commence ma pratique d’artiste, tout proche de mes trente –  cinq ans.

Mon œuvre picturale se déploie entre les années 1983 et 1994.

Dix années d’incessantes “ruptures”.

En 1984 je fonde le groupe Frowmajé, pour une esthétique Caribéenne avec quelques amis artistes ; je commence mon cheminement de peintre. Dès lors je cherche à rencontrer cette Afrique rêvée. En réalité mon art ne commence véritablement et librement qu’à partir de 1989, suite à ma rupture avec le groupe.

1989 année de la publication de mon premier manifeste, je prends acte de la nécessaire fracture avec l’idéologie dominante dans le champ de l’art local. J’abandonne l’idée du programme pré établi de la création artistique. La publication de ce manifeste a provoqué une petite onde de choc et permis le regroupement d’artistes autour de l’idée de l’art contemporain.

Dès lors je me tourne résolument vers la peinture et les questionnements qu’elle induit. Le comment peindre prend le pas sur le quoi peindre.

Ainsi je m’applique à combattre tous les académismes, et particulièrement ceux de l’art contemporain.

Ernest Breleur
Dessin

Durant toutes ces périodes de ruptures et de “découvertes”, je m’interroge sur les questions formelles liées à ma pratique, je questionne le sens, l’espace pictural, la représentation, le traitement de la surface, la matière, le trait, etc. Je mets mon travail en relation avec le champ de l’histoire de l’art.

Les “ruptures” sont en réalité mes lieux d’interrogations nouvelles, qui surgissent dans le développement des séries que je peins. Il s’est agi pour moi de ne jamais considérer une série comme un aboutissement, mais comme une étape ouvrant encore sur de nouveaux questionnements. La nécessaire obligation d’échapper à une possible complaisance vis à vis de ma pratique me demande de ne jamais accepter mes réalisations comme accomplies ou comme summum de mon exercice pictural, mais seulement comme une possibilité de l’émergence de nouveaux possibles.

L’artiste dans l’exercice périlleux de la création artistique, même sur le fil du rasoir doit être un funambule lucide, et ne doit jamais oublier de se remettre en cause. Il ne trouve jamais, il cherche toujours. C’est dans le toujours que se construit l’épaisseur de l’œuvre et que l’on exerce des prises de risques.

De la Mythologie de la lune (1989) à la série des Christ (1994),

J’ai constamment été distant avec l’histoire coloniale et plus encore avec les questions liées à la recherche de notre identité.

La question de l’homme, de la mort et de la vie, de l’altérité sont au centre de mon travail d’artiste, tout autant que l’expression contemporaine.

Ce sont les principaux moteurs de ma pratique. À tout cela je devrais ajouter mon entêtement à œuvrer pour une poétique questionnante.

Les périodes différentes formellement les unes des autres font l’objet de préoccupations distinctes.

 

Série Mythologie de la lune
1989
Acrylique sur toile

Mythologie de la lune, 1989

Période baroque, lyrique qui met en scène dans l’espace du tableau des personnages de femmes grotesques, lourdes en flottaison, paradoxalement en légèreté d’être, elles pèsent de tout leur poids sur ce qu’il y a de plus ténu (tabourets instables, échelles branlantes…) faisant toujours une ascension lunaire effrénée.

Ici le traitement pictural se veut dramatique, tout est sous tension, les corps sans tête atteignent de cécité et les âmes s’élèvent vers le ciel, contrairement à l’idée reçue qui veut que seule l’âme puisse s’élever vers le ciel. Durant cette période le corps est mis à l’épreuve, le corps et la “chair” sont triturés, un peu comme chez Bacon.

Série Grise, 1989-1990  

Série grise
1989-1990
Acrylique sur toile

La série Grise signe la sortie de la Mythologie de la lune. Le corps en raccourci, opérant une ronde autour de ce qui reste de la lune, toute prête à disparaitre. Situation moins dramatique dans l’espace du tableau, monochrome ou presque. Ici les corps lourdement ronds sont satellisés, manifestement jouissant du plaisir d’avoir échappés à la traction terrestre. Cette petite série laisse transpirer ma fascination pour les œuvres de Rubens et mon admiration pour ses raccourcis.

Série Blanche, 1992

Elle est la plus poétique, la plus délicate, et pas la moins tragique. Le corps mort sur le lit blanc champ de bataille avec comme seul “décor” des roses disséminées sur le lieu pictural. Après la mort, le corps sur le lit blanc de la toile expose sa liquéfaction jusqu’au moment de l’apparition d’une trace sombre et ombre : le corps s’est évaporé. Cette série qui prolonge mon projet pictural est née d’une triple conjonction, ou d’un triple événement

- L’observation des coulures sur le mur où j’exécutais mes peintures au cœur de mon atelier.

- L’observation, dans l’usine du Lareinty qui était alors dans un inexorable délabrement, de ce qui restait d’un  chien mort : quelques os et surtout une trace qui laissait penser que son corps s’était liquéfié sur le sol.

Série Blanche
1992
Acrylique sur toile

- La guerre en Bosnie-Herzégovine. Nul doute que le motif de chacune des toiles porte la tragédie de ce drame, mais engendre aussi l’idée de la disparation de la chair.

Série des Tombeaux, 1993

La mort rode dans tout mon travail pictural, la série des Tombeaux clôture la question de l’existence physique de l’humain comme si j’en avais fait le “tour” non pas pour trouver une quelconque réponse, mais pour effectuer mon expérience picturale. La série des Tombeaux m’a imposé de longues déambulations dans les allées de certains cimetières, entre fleurs fanées, fleurs rendant leurs derniers “soupirs”. J’ai reçu des odeurs “égorgeantes”, et senti des silences lourds. La série des Tombeaux est une sorte de confrontation à l’idée de la mort, peut être une manière de m’éprouver, me renseigner sur cette expérience si personnelle.

Série des Christ, 1994

Cette série boucle mon œuvre picturale, c’est mon dernier jet dédié à la peinture, je n’ai jamais cherché à instaurer une réflexion d’ordre religieux, faisant suite à mes interrogations sur le corps éphémère, et la question de la vie après la mort. Ce travail est la suite “logique” sur le corps éprouvé et voué à la disparition tant redoutée. Dans la multitude de ses représentations depuis l’avènement de  la religion chrétienne, le corps du Christ est toujours celui d’un humain supplicié.  

Je n’ai pu résister à cette  tentation  

Série Christ
1994
Acrylique sur toile

  

Ernest Breleur, Lamentin, le 12 mars 2013

* Édouard Glissant, à propos de la Série Blanche, « 50 et une seule strophe

pour voiler et dévoiler ». in Catalogue de la Collection du M2A2, Maison de

l’Amérique Latine, Paris, septembre 1999.