A l’occasion de la Semaine d’information sur la santé mentale, le Docteur Jean-Yves Giordana, chef de pôle de psychiatrie au Centre hospitalier spécialisé Sainte Marie à Nice, revient sur les causes et les conséquences de la stigmatisation des maladies psychiques (dépression, autisme, schizophrénie, trouble bipolaire…).
Quels sont les tabous, les préjugés encore existants sur les maladies psychiques ?
Les représentations sociales des maladies mentales sont globalement péjoratives. Dans toutes les civilisations et dans toutes les cultures, on retrouve cette même stigmatisation. Les malades mentaux sont affublés d’un certain nombre de caractéristiques : inhumanité, imprévisibilité, incurabilité, violence et dangerosité, paresse. C’est la « théorie de l’étiquetage » : à partir du moment où quelqu’un est différent, il nous fait peur, il suscite la méfiance et nous le mettons à distance. Toutefois, les préjugés varient d’une maladie mentale à une autre. Ainsi, dans l’opinion publique, on retrouve un sentiment de proximité vis-à-vis de la dépression. En effet, chacun d’entre nous connaît une personne qui a été atteinte de cette maladie. Par ailleurs, la dépression est associée aux malheurs ambiants et suscitera davantage d’empathie. En revanche, la schizophrénie cumule le plus de préjugés. Ainsi, selon les résultats d’un sondage Ipsos, commandé en 2009 par la fondation FondaMental, 80 % des personnes interrogées accepteraient de travailler avec une personne atteinte d’autisme, 67 % avec une personne bipolaire mais seulement 44 % avec une personne schizophrène. Le traitement médiatique de certains faits divers a renforcé l’association de cette pathologie à l’idée de dangerosité. Or, en réalité, les malades mentaux ont 14 fois plus de risques d’être victimes de sévices ou de gestes violents que d’agresser quelqu’un.
Quelles sont les autres conséquences de cette stigmatisation pour les malades ?
L’étude Indigo, une étude internationale sur les effets de la stigmatisation et de la discrimination, publiée en 2009, a permis de mieux cerner le ressenti des personnes schizophrènes. Globalement, elles se sentent rejetées par la société. Les patients interrogés expriment un vécu de honte pour eux et pour leur famille, un fort sentiment de dévalorisation, une perte d’estime de soi. La stigmatisation génère également une discrimination sociale, avec des difficultés à accéder au logement, à l’emploi, au réseau relationnel, intime. Elle a des conséquences sur la qualité de vie de ces personnes mais également sur l’évolution de la pathologie. En effet, les malades partagent les mêmes représentations négatives que le reste de la société. Ils refusent l’idée de souffrir d’un trouble psychiatrique, d’en parler, ce qui va retarder leur recours aux soins. Or, dans la maladie mentale, la prise en charge médicale est déterminante dès l’apparition des premiers symptômes.
Pourquoi ne pas appeler les maladies mentales, maladies du cerveau ? Cette qualification permettrait-elle de faire reculer les préjugés ?
Les progrès des neurosciences ont, en effet, permis de mettre en évidence dans les maladies mentales, l’influence de l’héritabilité, de la prévalence génétique, des facteurs neurobiologiques, anatomiques, morphologiques, fonctionnels du cerveau. Mais il y encore une dissociation entre la neurologie et la psychiatrie. La psychanalyse a une vision assez divergente, plus axée sur la psyché que sur des déterminismes biologiques. Le niveau d’information sur les maladies mentales ne fait pas forcément reculer les préjugés. Une étude menée aux Etats-Unis en 1996 a montré que si le grand public connaissait mieux la schizophrénie, la peur de la violence restait encore présente. L’idée que ces malades aient une structure cérébrale différente de la notre peut même renforcer la discrimination.
Comment changer alors notre regard sur ces malades ?
C’est un travail au long court. Il y a les campagnes de protestation contre la discrimination, comme ce fut le cas, en 2003, pour interdire la commercialisation de la poupée « Nazo le schizo ». On peut également expliquer à l’opinion, que la maladie mentale n’est pas une fatalité, que des traitements soulagent les malades. Mais en psychiatrie, il est délicat d’avoir recours aux témoignages de patients comme pour le cancer. Il y a toutefois eu le témoignage du journaliste Philipe Labro qui a écrit un livre sur sa dépression. Pour faire évoluer les mentalités, il faut mettre l’accent sur l’humanité et la dignité des malades, leur capacité à être dans la société. C’était le cas notamment dans le film « Un homme d’exception » qui raconte la vie de John Nash, schizophrène, mathématicien de génie, qui a obtenu le Prix Nobel. La personne souffrant de troubles psychiatriques, c’est le voisin qui vit en appartement thérapeutique et qui va acheter ses croissants dans la même boulangerie que soi. Reste un obstacle de taille : le manque de moyens de la psychiatrie. Dans tous les Etats, moins de 5 % du budget est consacré à la santé mentale. Cela reste un sujet tabou, pas mobilisateur et …ce n’est pas une priorité politique, tous partis confondus.
Le Docteur Jean-Yves Giordana est l’auteur d’un ouvrage « La stigmatisation en psychiatrie et en santé mentale », publié aux Editions Masson, juin 2010.
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