J’ai fait la rencontre d’Iris Sautier un jour de février 2012, Je reçois une notification de Facebook : « Iris Sautier a dit que vous travaillez ensemble à La Bourgeoise Sérigraphe ». Bien sĂťr il s’agissait d’une erreur amusante‌ Et pour cause, la Bourgeoise Sérigraphe et Dezzig partagent un goĂťt immodéré pour la sérigraphie et la défense de l’artisanat d’art.
Même si l’Atlantique nous sépare : elle travaille à Montréal et moi en Bretagne, nous nous sommes trouvés plein d’atomes crochus. On trouve même sur son site internet un extrait de mon article sur le Sérigraphisme. Comme elle avait plein de choses à nous dire, je lui ai tout simplement proposé une interview !
Iris, tu m’as dit que tu étais Suisse d’origine, depuis quand vis-tu au Quebec, quel est ton parcours ? Comment est la vie à Montréal ?
Le Québec n’a jamais été un but en soi ! Je suis arrivée au Québec en 2005, dans l’idée d’obtenir un passeport canadien qui m’ouvrirait des portes pour aller travailler aux USA… En attendant le délais règlementaire, j’ai démarré mon entreprise à Montréal, et 8 ans plus tard, j’y suis toujours ! Montréal est une ville très dynamique où il se passe beaucoup de choses, les nationalités sont très mélangées et on y rencontre une foule de personnes intéressantes.
Comment est née ta passion pour la sérigraphie ? Raconte-nous‌
La création de « La Bourgeoise Sérigraphe », l’installation de l’atelier‌
J’ai eu l’occasion de faire de la sérigraphie aux Beaux-Arts de Bâle, en Suisse, où j’ai suivi des études de graphisme pendant 5 ans. L’école avait un atelier de séri fantastique où j’ai passé tous mes weekends… Une fois mes études terminées, j’ai eu envie de donner suite à cet engouement, et le désir de mettre sur pieds mon propre atelier a persisté jusqu’au Canada. Finalement, c’est plus de 10 ans après la fin de mes études que l’occasion s’est présentée de louer un local et de démarrer l’aventure ! Mon installation a été très graduelle, car au départ je ne prévoyais pas complètement changer de métier… C’est la demande qui a créé l’offre, et j’ai eu la chance d’arriver à Montréal à un moment où personne ne proposait les services que je me suis mise à offrir dans le domaine de la sérigraphie artisanale. De fil en aiguille, j’ai commencé à avoir assez de travail pour laisser tomber complètement mes services de graphisme.
Et le nom ?
La Bourgeoise Sérigraphe c’est un peu du deuxième degré… il y a plusieurs raisons à ça ! En premier le fait que quand je me suis lancée, j’ai racheté mon stock chez des imprimeurs « gros bras », tous des gars un peu rustres qui se sont gentiment foutus de ma gueule dans le style « vous êtes bien mignonne mais vous arriverez jamais à faire ce métier »… Du coup j’avais envie de les prendre au mot, peut-être un peu aussi de les prendre de haut ! Avec « Bourgeoise » je voulais aussi donner le ton quand à l’aspect qualitatif. Je ne veux pas que les gens m’abordent en pensant que je vais casser les prix, faut oublier ça tout de suite ! La sérigraphie c’est un médium haut-de-gamme ! Après, je suis allé chercher les définitions du mot et elles m’ont toutes plu, soit dans le sens de ce que je fais, soit carrément à l’opposé‌ (1470-1903 : les compagnons Imprimeurs aimaient à se faire donner le titre de bourgeois de Paris, dont ils se distinguaient peu d’ailleurs en public par leur mise toujours soignée. L. Radiguer)
Toi aussi tu es une graphiste qui fait de la sérigraphie ! Mais aujourd’hui comment conjugue-tu ces 2 métiers ?
Ma formation m’a permis d’atteindre la clientèle que je désirais toucher : mes pairs ! Mon expérience et le sérieux de mes études ont donné beaucoup de crédibilité à ma démarche et mes clients sont beaucoup plus aptes à me faire confiance en sachant que je viens du même milieu qu’eux. Évidemment, à un niveau purement technique, le fait d’avoir un solide bagage en design graphique, en art et en informatique revêt une utilité considérable au quotidien, non seulement dans la préparation des projets destinés à l’impression, mais également au niveau du soutien technique que je peux offrir à mes clients. Je suis totalement autonome, depuis la phase de création jusqu’au produit imprimé, capable de m’occuper aussi bien du service client que de la publicité de mon entreprise, de mon site web, du design de produits et de l’impression de mes projets. Par contre je ne fais plus de contrats de graphisme proprement dits, ce volet du métier est derrière moi : )
En France, la sérigraphie n’a pas encore trouvé la dimension qu’elle possède aux USA‌ Même s’il y a une culture de l’objet et de l’artisanat d’art, Il y a encore un gros travail pédagogique pour montrer la qualité, la beauté de la sérigraphie. Comment ça se passe au Canada ?
C’est une problématique qui a plusieurs facettes ! La sérigraphie est effectivement très populaire de ce côté-ci de l’Atlantique, et une grande majorité de designers graphiques et artistes en tous genres impriment de temps à autre sur un coin de table dans leur atelier. Par contre, cet art a ici une dimension très « fashion », c’est un facteur de mode relativement éphémère, et le produit fini n’est pas forcément valorisé en tant qu’Ĺ“uvre née des mains d’un artisan donc possédant une valeur intrinsèque… En Amérique du Nord, le travail manuel et le travail de l’artisan en général n’est de loin pas aussi valorisé qu’il peut l’être en Europe, particulièrement en France avec la tradition des compagnons, des maîtres d’apprentissage, du travail appris au fil des années et au prix de beaucoup de sueur et de patience. L’Amérique du Nord est le pays du « vite, mal et pas cher », et la sérigraphie ne fait pas exception à la règle… l’utilisation du procédé en lui-même ne suffit pas à assurer un travail de qualité, beaucoup de gens sans grand talent font des choses abominables en sérigraphie, et du coup il est plus difficile pour les vrais imprimeurs de faire passer des prix plus élevés, même pour une qualité supérieure !
Pourtant Les USA et la Canada sont le pays des gigposters‌ la culture de la sérigraphie d’art graphique et du letterpress est omniprésente chez toi‌
C’est sĂťr que ces deux procédés sont immensément populaires et très en vogue, et une grande proportion de la population apprécie le rendu obtenu par ces deux techniques… pourtant seule une minorité d’initiés est prête à payer plus pour des produits sérigraphiés ! Au Canada, l’art plait, me ne vend pas, et aux États-Unis, seules des villes comme New York et San Francisco peuvent se targuer d’être des centres où on arrive à vivre de son art… Au final, la bataille reste la même qu’en France, il y a un gros travail d’éducation à faire et on finit souvent par vendre nos pièces à un prix largement inférieur à ce qu’elles valent ou on se diversifie en faisant de la production de moindre qualité afin de pouvoir payer les factures. C’est contre cela que je me bat chaque jour !
Tu définis La Bourgeoise sérigraphie comme un atelier de sérigraphie à vocation pédagogique‌ Cela veut dire que les commandes, la création d’objets en série limitée, ne sont plus ta priorité ?
Je suis une personne qui déteste la routine, alors je m’assure que mon quotidien soit agrémentés de plusieurs activités différentes : ) Au départ, la vocation pédagogique de l’atelier relève de la survie: sans travail pour éduquer la population, je n’aurai bientôt plus de clients ! Le fait d’amener les gens dans mon atelier et de les faire participer à la création d’un produit leur ouvre les yeux sur la réalité du travail manuel. C’est une prise de conscience essentielle si l’on veut être capable un jour de freiner l’exode économique et de remettre en question l’habitude qu’ont les gens de payer un prix ridicule pour des articles sans égard à leur provenance et aux conditions dans lesquelles ils ont été produits. Le fait de consacrer beaucoup de temps à l’enseignement ne veut pas dire que je laisse les autres aspects de côté: en fait j’adore faire des contrats d’impression, ils me procurent toujours beaucoup de plaisir car j’ai le privilège de choisir les projets que je veux imprimer et de refuser ceux qui m’interpellent moins. Quant à la création d’objets ou de produits, pour les mêmes questions financières mentionnées ci-dessus et après m’y être frottée, je ne crois plus que cette voie est viable, économiquement parlant. Aussi je m’y adonne avec modération, souvent à perte, et uniquement pour le plaisir de créer.
J’ai vue de très belles collaborations comme celle pour Musique pour pas perdus et aussi des affiches (j’aime bcp la série Exentris), des cartes de visite, du packaging, des couvertures de livre, des objets déco et mêmes des cartes de vĹ“ux, des tee-shirts, des foulards, ouch, pas le temps de s’ennuyer chez toi ! Tu produis énormément ! Beaucoup de graphistes collaborent avec ton atelier ? Quel projet as-tu préféré ?
J’ai eu la chance dès le début, et grâce à mon travail soigné, de collaborer avec des designers absolument fantastiques qui m’ont soumis des projets magnifiques. C’est un total bonheur pour moi que d’avoir la confiance de ces personnes et de contribuer à donner vie à leurs projets. Designers graphiques et illustrateurs en tous genres représentent presque 80% de ma clientèle !
Pour le reste, j’ai depuis toujours un amour immodéré pour le packaging, et je ne ferais que ça à longueur de journée si je le pouvais ! Dans l’ensemble je ne peux pas dire que j’aie des préférés, car c’est justement la diversité des projets qui fait la beauté de mon travail.
Les « Petites Pestes » est le nom de ta première ligne de vêtements sérigraphiés pour bébés et jeunes enfants. L’envie de créer ta propre boutique, tes propres produits et ne plus imprimer pour les autres ?
Plus exactement, cela découlait de l’envie de voir sur le marché des choses plus originales que ce que je voyais tous les jours : ) Dans un contexte de « vite et pas cher », une grande majorité des vêtements pour enfants faits de manières artisanales sont produits à la va-vite, sur des patrons similaires, ils sont mal imprimés, mal cousus, et ils se ressemblent tous… J’avais envie de créer une ligne qui laissait libre cours à mes fantasmes de perfectionniste : ) J’ai donc pris le procédé à la base, j’ai fait patronner mes modèles, couper le tissu, coudre, imprimer, poser les pressions, broder les étiquettes, sérigraphier les notices… pour arriver au final avec un produit impeccable, mais invendable ! J’ai énormément appris dans le processus mais ma perte financière a été à peu près équivalente !
Comment se déroule une journée type à l’atelier ? J’imagine que tu y passes beaucoup de temps‌ pas simple pour la vie de famille !
J’ai un copain très indépendant et surtout, pas d’enfants ! Je commence la journée à la maison, vers 9h, par mes emails, ce que je poursuis à l’atelier dès 10h. La matinée se passe entre le mail, les téléphone et les visites, planifiées ou non, de potentiels clients (je passe beaucoup de temps avec les clients à leur expliquer le contenu de mes cours et à les aider dans leur préparation). Je répartis les tâches à mon employée, et j’accueille les locataires éventuels. L’après-midi est consacrée au travaux d’impression courts ou plus longs, l’impression de contrats quand il y en a, ou la production de produits que nous plaçons ensuite dans des boutiques. La fin de journée et la soirée sont en général destinées à prendre connaissance des différentes demandes de prix et à ébaucher des soumissions, que je finalise souvent le weekend. Je travaille en moyenne entre 60 et 80 heures par semaine pour mon entreprise… quand on aime on ne compte pas !
Sur ton site, tu n’hésites pas à proposer des liens vers d’autres boutiques de sérigraphes. C’est rare ! Je partage aussi cette façon de mettre en valeur le travail des autres‌ Ici pas de concurrence, juste la même passion de la sérigraphie ?
Oui et non ! J’aime la saine concurrence, quand chaque artisan sait trouver son créneau sans marcher sur les pieds de ses collègues. J’essaie de développer des collaborations avec le plus grand nombre possible de studios à Montréal, et on s’entraide au lieu de s’entre-tuer, ce qui est une situation gagnante pour tous. J’ai beaucoup d’amis et de nombreux soutiens dans le domaine de la sérigraphie ! Par contre cet équilibre n’est pas possible avec tout le monde, certaines personnes préfèrent faire cavalier seul et n’hésitent pas à être déloyales dans leur démarches, mais celles-ci, j’évite d’en parler !
Justement quelles sont tes influences graphiques, tes « maîtres » sérigraphes ? La musique que tu écoutes en travaillant ?
Hahaha, je n’écoute pas de musique, il y a beaucoup trop de bruit dans le studio ! En général je laisse les locataires choisir la musique qu’ils veulent, quand on ne travaille pas avec de l’aspiration ou de l’aération, ou qu’on nettoie des écrans au Kärcher ! Mon maître incontestable est Andy MacDougall, une personnalité immensément généreuse de la côte ouest, que j’ai connue grâce à son livre Screen Printing Today, The Basics. Je l’ai invité à donner un cours à mon atelier en 2009 et depuis nous sommes amis. C’est mon plus grand soutien technique et mon maître à penser ! J’ai quelques autres gourous qui m’aident dans mon cheminement, c’est toujours des imprimeurs « vieux de la vieille » de 60 ans et plus, qui sont tout charmés de mon enthousiasme et bluffés par mon sérieux !
Tu as toujours plein d’idées, pour ta participation aux conférences C2-Mtl, tu as même créé un petit chariot de sérigraphie ! Peux-tu m’expliquer ? Participer à des salons et des démonstrations, valoriser le travail manuel, c’est si important pour toi ?
Comme je le disais ci-dessus, démystifier le processus et rendre le travail compréhensible de tous est quelque chose qui me tient vraiment à cĹ“ur. D’autre part, la sérigraphie exerce un véritable pouvoir de fascination sur le public, et c’est extrêmement gratifiant de contribuer à rendre le monde un peu plus magique aux yeux des gens ! Pour ce que est de C2-Mtl, je ne suis malheureusement pas la conceptrice du chariot. J’avais vu des photos d’un prototype présenté dans une exposition d’art, et je n’ai fait que relayer l’information à un collectif de designers industriels allumés et talentueux qui ont construit une version efficace de chariot dépliant pour le cadre de l’événement C2-Mtl de 2012.
Quelles sont les prochaines évolutions de l’atelier ? Ton actu, des projets ?
Je viens d’embaucher une nouvelle employée, alors pour l’instant je m’occupe à nous tenir toutes les deux suffisamment occupées pour être à flot : )
Cette année j’aimerais cependant augmenter le volume consacré aux contrats d’impression et je fais beaucoup d’efforts pour approcher de nouvelles agences et les convaincre de faire affaire avec nous. J’ai plusieurs événements publics à l’agenda et je vais organiser un nouveau cours à l’automne avec mon gourou Andy, combiné à une petite exposition d’art d’artistes de l’est et de l’ouest… Pour le reste, je surfe sur la vague, car je ne peux jamais prévoir qui viendra cogner à ma porte, les rencontres sont parfois extrêmement inattendues et j’aime me laisser surprendre : )
J’adorerai faire un saut un Montréal‌ Une petite expression typiquement locale pour donner envie de venir ?
Si tu viens à Montral, attache ta tuque avec d’la broche! (tiens-toi prêt !)
Merci et Kenavo Iris (au-revoir en Breton)
Tigidou ! (mot de la fin qui conclut quelque chose)
Photo Š La Bourgeoise Sérigraphe & Anthony Kerr
Pour vos petits cadeaux : la boutique de La Bourgeoise Sérigraphe