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[Critique] LES AMANTS PASSAGERS de Pedro Almodóvar

Par Celine_diane
[Critique] LES AMANTS PASSAGERS de Pedro Almodóvar
Après ses récentes parenthèses transgressives- climax atteint dans sa Piel que habito- où le cocktail vengeance, êtres hybrides et quêtes identitaires exhalait un parfum malsain mais aussi plus mature, Almodóvar revient à ses premières amours : la comédie kitch, l’humour déculotté, le délire loufoque. Dans la classe affaires de son 747 qui ne peut atterrir, se croisent de drôles de personnages- décalés, un peu trash : une voyante encore vierge (Lola Dueñas), un quarantenaire coureur de jupons, un homme d’affaires déchu, une escort dominatrice (Cecilia Roth), des pilotes bisexuels, des stewards gays. La classé éco, quant à elle, dort, droguée. Une métaphore parmi d’autres pour signifier l’Espagne d’aujourd’hui : on a endormi le peuple, pendant que l’élite se défonce à la mescaline et trouve dans la réalisation de ses fantasmes (sexuels) matière à justifier son existence. C’est un microcosme social qu’exp(l)ose le cinéaste espagnol ici, régi par les trois piliers du monde moderne : l’argent, le cul et le pouvoir. L’avion, contraint de tourner en boucle dans l’espace aérien attendant désespéramment une piste d’atterrissage, est un symbole : celui d’une société dans l’impasse, toute proche d’un crash général ; idée que viennent confirmer les gros titres des journaux que lisent les passagers. Un monde complètement désaxé, errant sans but, où les êtres sont gangrenés par le mensonge, la dissimulation, les désirs inavoués. Tous pris dans les filets de la crise. Dans le fond, on a affaire à un Almodóvar cynique. Son regard sur son pays est sans concession : un espace de femmes-objets (cf. le couple marié), où les pauvres dorment, et où seuls les riches ont encore l’espoir de jouir des plaisirs de l’existence. La preuve ultime : ces longs travellings sur un aéroport vidé de toute trace d’humanité. A l’arrivée, il n’y a donc plus que des fauteuils abandonnés, des couloirs fantômes. Le vol vers le soleil de Mexico n’était qu’une promesse non tenue, et se révèle aller-simple vers la vacuité la plus totale. Pas si drôle. 
Pourtant, si le sous-texte dissimule une vraie noirceur, la forme, elle, prend des allures de grande farce queer, vulgaire et constamment branchée sous la ceinture. Avec son trio de stewarts 100% gay, Almodóvar s’en donne à cœur joie : déluge orgiaque de vulgarités, politiquement incorrect, et grand n’importe quoi libertin. Sexe, drogues et … Pointer Sisters au programme, sauce ambiance de cabaret en plein vol, comme en témoigne cette séquence drôlissime où les trois extravagants offrent une chorégraphie endiablée pour divertir les passagers. « I’m so excited, I’m about to lose control and I think I like it ! ». Des paroles joyeuses qui, à la lumière de la métaphore en cours, peuvent aussi se lire comme éminemment ironiques. L’hymne d’une génération sans limite, d’une humanité à la dérive qui cherche dans l’immédiateté du plaisir, la signification de la vie. Pour autant, quoique chargé de sens, le revival comique du cinéaste, époque Talons Aiguilles et autres Attache-moi !, a en commun avec le monde qu’il décrit un certain assèchement, du lourdingue puissance mille plein les valises qui pourrait lui valoir la perte d’une moitié de son auditoire. Car si (presque) tout le monde s’envoie en l’air, l’intrigue tricotée par Almodóvar, elle, demeure clouée au sol, plombée par une trivialité peu délicate qui s’acharne à ponctuer de « queues » et de « bites » chacune de ses tirades. Du mauvais goût (à ne pas confondre avec une liberté épicurienne et libératrice) in fine à l’image de l’allégorie mise en place, elle aussi criarde et amenée sans trop de subtilité. Ces dernières années, Almodóvar nous avait habitué à moins de bouffonnerie et à davantage de raffinement vicié. Vivement qu’on le retrouve.
[Critique] LES AMANTS PASSAGERS de Pedro Almodóvar

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