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Lustiger, métis de Dieu

Publié le 01 avril 2013 par Oz

“Je suis né juif, j’ai reçu le nom de mon grand-père paternel, Aron. Devenu chrétien par la foi et le baptême, je suis demeuré juif comme le demeuraient les apôtres. » Sur une plaque, là où il est inhumé à Notre-Dame de Paris, l’épitaphe résume l’engagement et l’existence de Mgr Lustiger. Les tiraillements, les déchirures du prélat, son conflit intime, pour s’accepter et se faire accepter comme « métis de Dieu », chrétien à part entière et juif tout autant. Pris dans l’étau de ces deux identités qui n’en font qu’une, mais qui lui ont valu la méfiance des uns et les soupçons des autres.

Meilleure fiction au Festival de Luchon 2013, Le Métis de Dieu est plus une exploration de cette dualité, de ce grand écart, de ce métissage entre deux religions qu’une classique biographie du personnage, dont l’existence romanesque se prête pourtant déjà fort bien à scénario. Du coup, le film, signé Ilan Duran Cohen, interroge chacun de nous sur la manière de regarder en face ses paradoxes, de vivre avec ses contradictions, de s’affirmer avec ses déchirements identitaires. D’avancer parfois contre les siens, pour les siens. Chacun pourra, à partir des interrogations du cardinal, questionner ses propres déchirements. Et puiser, sans doute, la force de cette réconciliation avec soi et avec les autres. « La réconciliation », c’est au demeurant le premier titre auquel avait pensé le réalisateur.

 

(Ci-dessus la bande annonce. A voir ou revoir sur Arte +7 - http://videos.arte.tv/fr/videos/le-metis-de-dieu–7401130.html)

La vie de Mgr Lustiger devient prétexte. On ne s’attarde pas plus qu’il ne faut sur son ascension, d’ailleurs assez fulgurante, qui le fait passer, en quatre ans, de simple prêtre à évêque d’Orléans (1979), puis archevêque de Paris (1981), enfin cardinal et conseiller spécial de Jean Paul II (1983). On y voit un homme d’Eglise dynamique et déterminé, colérique parfois, qui sait s’emparer des moyens de communication modernes pour faire passer son message. Consacré archevêque la même année, il profite de la libéralisation des ondes radio pour créer Radio Notre-Dame, en 1981. En 1999, il sera également à l’origine de la chaîne de télévision KTO.

A consulter aussi: L’institut Jean-Marie Lustiger

L’essentiel est ailleurs. La caméra préfère s’attarder sur les relations orageuses qu’il entretient avec son père, émigré polonais qui a échappé à la déportation. La mère du futur cardinal, elle, sera déportée et mourra à Auschwitz en 1943. Charles Lustiger a du mal à accepter la conversion du fils, survenue à 14 ans, en 1940. Aron, le fils, attend en vain la reconnaissance du père. Les deux, en vérité, ne se trouveront jamais. Une déchirure de plus.

Retracer l’existence du cardinal a exigé un important travail de documentation. Mais le meilleur est peut-être dans ces « espaces de liberté » que s’est réservé le réalisateur. Espaces de liberté obligés : qui peut relater les conversations entre Jean Paul II et le cardinal lors de leurs rendez-vous ? Jean Paul II a-t-il confessé au cardinal l’avoir nommé uniquement parce qu’il était juif, comme on le voit ici ? Lui a-t-il dit qu’un jour ce pourrait être un juif qui serait pape ? Mystère. Une véritable amitié se tisse, en tout cas, entre les deux hommes. Et il est amusant de voir Jean-Marie Lustiger tenter de suivre le rythme soutenu de ce pape espiègle, en baskets, qui se presse dans les couloirs du Saint-Siège. De ce pape fier d’une piscine construite pour lui dans les jardins du Vatican afin d’entretenir sa forme et sa santé : « Cela coûte toujours moins cher qu’un conclave. »

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Mais c’est l’affaire du carmel d’Auschwitz, implanté à l’intérieur du camp, qui va mettre le plus à l’épreuve le métissage religieux du cardinal. Son statut de prélat, sa judaïté, le fait que sa mère, Gisèle, y ait été assassinée, la position du Vatican : les sentiments s’opposent, s’entrechoquent et déchirent le coeur et l’âme de Jean-Marie Aron Lustiger. Ni le Kaddish ni le Notre Père ne parviendront à sortir de sa bouche sur les lieux de l’horreur. L’occasion, pour son interprète Laurent Lucas, de donner le meilleur de lui-même, comme habité par une lumière céleste et paradoxale, double et unique à la fois.

Olivier ZILBERTIN

(Publié dans Le Monde daté du 25 mars 2013)


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