Audition organisée au profit du Congrès en Guadeloupe le 21/02/2012
Texte présenté par AJAX Emmanuella représentant le MLR
Mise en forme de la position du groupe par Philippe HAZAËL-MASSIEUX)
Monsieur le Président, Messieurs les Conseillers,
A nos yeux, quatre grandes questions se posent à notre population et à nos élus, comme elles se posent à tout groupe humain à qui l'Histoire donné son propre territoire et sa propre personnalité
- comment accroître de manière adaptée l'autonomie politique des dirigeants élus et mandatés par la population locale (augmenter leur capacité à prendre des décisions localement importantes sans avoir à en répondre devant une autre autorité que leur population) ?
- en poussant cette démarche d'autonomie à son extrême limite, convient-il de conduire à terme cette population à la création d'un état indépendant sur son territoire, c'est à dire à un état susceptible de prendre des décisions souveraine aussi bien à l'échelon de sa population qu'au niveau international ?
- avec quel grand ensemble économique mondial faudra-t-il articuler prioritairement et durablement cette population, qu'elle soit devenue indépendante ou non ?
- comment mener cette réflexion et cette démarche dans le respect de la population guadeloupéenne, c'est à dire en prenant constamment en considération à la fois son sentiment, son histoire ainsi que ses intérêts actuel ou futurs ?
1°Il faut répondre clairement et complètement à la première question:
Accéder à l'autonomie politique est en soi un projet tout à fait louable, en ce que cette situation garantit à une population que les décisions la concernant directement seront prises dans des conditions d'excellente proximité, par ses propres élus et sous son contrôle direct.
Cependant, parler d'autonomie politique sans disposer des ressources économiques autorisant cette autonomie est une tromperie.
La réalité des DOM, et de la Guadeloupe en particulier, exclut l'accession à des ressources propres suffisantes pour assurer une autonomie politique (petitesse du marché local, pauvreté du marché régional, éloignement des grands marchés, absence de matières premières, exiguïté des surfaces cultivables, coût social historique de la main d'œuvre, intempéries tropicales...).
Compte tenu de la modestie des ressources naturelles de la Guadeloupe, et des difficultés à développer ou écouler tout type de production, il faut donc s'attacher à définir un cadre réaliste offrant le degré d'autonomie le plus grand possible ; ce cadre se définit à nos yeux par deux notions :
- Le choix raisonné du droit commun institutionnel: dans cette situation, la Guadeloupe est partie intégrante de la France et de l'Europe, et les textes correspondants s'y appliquent de plein droit, sous réserve de mesures adaptatives modestes; le niveau de vie, la qualité des équipements, les outils d'enseignement et de formation, le marché de l'emploi, la possibilité de circuler, sont destinés à s'aligner à terme sur les normes franco-européennes; des financements sont automatiquement étudiés en ce sens.
Il ne s'agit pas de s'opposer aux évolutions institutionnelles, dès lors qu'elles s'inscrivent dans le droit commun français et européen; par contre les propositions visant des évolutions institutionnelles spécifiques au DOM seront considérées avec la plus grande réserve.
-La prise de décision décentralisée; c'est le degré d'autonomie idéal dans le dispositif de droit commun institutionnel, puisque l'élu local, dispose de financements conséquents et sûrs, et qu'il prend de son propre chef les initiatives jugées localement utiles ; mais il doit être admis que l'État ne saurait se désengager ni sur le niveau des financements correspondant aux compétences transférées, ni sur le principe de la mise à niveau des populations et des équipement locaux, ni sur le contrôle qu'il lui revient d'exercer - à terme - quant à l'usage réel des fonds par les élus.
Il ne s'agit nullement d'une subsistance parasitaire, car la Guadeloupe, par exemple, fournit d'importantes contreparties, à l'Europe et à la France.
Il est généralement admis que les DOM ont vocation à constituer des ''avant-postes'' de la France et de l'Europe dans les diverses parties du monde, et ceci, au bénéfice de tous.
À titre d'exemple, la Guadeloupe ''produit'' de l'espace éducatif (écoles, formation, université), technique (routes, équipement électrique, réseau téléphonique, distribution de l'eau), administratif (poste police, douane...), judiciaire, économique, géopolitique, et maritime francais et européen, et ceci, à 8000 km de sa métropole.
Cette fonction des DOM a un coût, que les fonds émanant de l'hexagone et de l'Europe ont vocation à assumer.
Il est clair cependant qu'on ne peut se contenter de ce constat et de cet apport; et, bien sûr, toutes les autres sources de recettes (industrielles, commerciales, touristiques, agricoles, portuaires...) doivent être mises en œuvres et optimisées.
On doit cependant souligner qu'aucun investissement, et aucun développement économique ne s'accommodera de perpétuelles incertitudes institutionnelles et statutaires, ou de l'existence de violences et désordres débridés dans le domaine politico-syndical.
2° Si l'on doit évoquer la seconde question :
On peut penser que l'indépendance politique représente un bel idéal pour une population qui se prévaut d'un territoire, d'une histoire, d'une culture propres; c'est en principe la garantie qu'elle pourra prendre souverainement, par l'intermédiaire de ses élus, toute décision conforme à ses intérêts et à son génie propre.
Cependant, parler d'indépendance sans possibilité de disposer d'une autonomie politique est un leurre ; l'état fonctionnant sur ces bases inconsistantes devient politiquement une marionnette aux mains des grandes pays ou des puissances loco-régionales qui lui fournissent les ressources nécessaires à sa survie.
Il n'y a pas d'indépendance politique réelle pour un groupe humain, sans autonomie politique réelle; or nous avons démontré ci-dessus que le modèle d'autonomie politique le plus crédible et le plus achevé pour la Guadeloupe réside dans une décentralisation bien conduite, ce qui implique l'appartenance à la France et à l'Europe, et ce qui exclut donc l'indépendance politique.
Rien n'interdit cependant à l'Europe ou à la France de déléguer, de manière transitoire ou durable, si cela s'avère utile, certaines de leurs prérogatives régaliennes aux dirigeants locaux (action diplomatique régionale, maintien de l'ordre, sécurité aux frontières...).
Pour mémoire, il faut ajouter - vues les dimensions de la Guadeloupe, et de sa population - qu'un état guadeloupéen indépendant ne serait jamais qu'un micro-état :
-Un micro-état pauvre et isolé géographiquement n'a qu'une existence végétative, sans aucun bénéfice pour sa population; les populations des DOM ont suffisamment souffert, par le passé, pour qu'un avenir de misère leur soit épargné par les élus censés préparer cet avenir.
-Un micro-état, même s'il est riche (surtout s'il est riche!) ne dispose cependant que d'une micro-souveraineté, vulnérable aux activités, influences, et manipulations internationales ou maffieuses les moins recommandables.
3° la question N°3 relatives au choix et modalités d'articulation de notre population avec un grand ensemble à déjà été traitée de façon précise et complète dans l'alinéa 1 de notre propos (relatif à l'autonomie politique)
4°On doit enfin parler du respect qui doit être témoigné, en toute circonstance, à notre population
Chacun des DOM a reçu de la constitution la possibilité de choisir le dispositif institutionnel qui lui convenait le mieux, dans le cadre de la République; c'est ainsi que la Guyane et la Martinique ont choisi la Collectivité Unique, alors que la Guadeloupe a manifesté avec constance et clarté son attachement, non pas au statu quo, mais au droit commun institutionnel (on a vu pourquoi dans l'alinéa 1° de notre propos)
Il n'est pas question, pour autant, d'opposer un barrage infranchissable à ceux qui souhaiteraient que la population soit interrogée sur d'éventuelles évolution institutionnelles ou statutaires; mais ces consultations référendaires doivent véritablement respecter le libre choix des populations des DOM; en effet, une consultation portant sur des questions institutionnelles ou statutaires dans les DOM peut avoir de graves conséquences, sur plusieurs générations, et aboutir à des situations irréversibles; elle ne peut donc être conduite dans une optique politicienne, et doit être entourée de solides garde-fou.
A ce sujet des engagements sans ambiguïté doivent être exprimé par tous les hommes politiques de premier plan, que ce soit à l'échelon national ou au niveau local: il s'agit là de confirmer solennellement les garanties habituelles offertes par le suffrage universel tel qu'il s'est imposé petit à petit dans le monde démocratique moderne (le scrutin doit être libre, serein, secret; il doit être organisé dans des conditions crédibles, et être éclairé par un débat public, contradictoire, et loyal; les opérations de vote seront surveillées et dépouillées conjointement par les parties).
Il faudra donc
-qu'il soit organisé à distance de toute période de désordre dans la rue,
-que la question posée soit réellement claire, et que l'enjeu qui en découle soit rappelé sans ambiguïté (par exemple: rester dans le droit commun institutionnel, c'est poursuivre le chemin avec la France et l'Europe; sortir du droit commun, c'est adopter une autre voie, même si les liens ne sont pas formellement tranchés),
-que la campagne officielle revête nécessairement un caractère contradictoire eu égard à la question posée, et qu'elle ne puisse être confisquée par les élus ou les partis officiels,
-que le scrutin ne fasse pas partie d'une série de consultations consécutives, de nature à lasser et démotiver l'électeur,
-qu'une participation minimale soit exigée pour que le résultat puisse être pris en considération et mis en application,
-que le verdict d'un tel scrutin soit respecté, c'est à dire qu'il ne soit pas remis en cause par l'organisation hâtive d'un nouveau référendum visant à inverser sans délais crédibles, la décision précédemment adoptée.
En vous remerciant de l'intérêt que vous accorderez à ces quelques remarques, et de la place que vous pourrez leur donner dans votre démarche, je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, Messieurs les Conseillers, l'expression de ma haute considération.