François Ozon, 2007 (France, Royaume-Uni)
Les œuvres qui prennent pour cadre l’Angleterre victorienne ou edouardienne, et plus généralement le vieux continent entre 1800 et 1930, font souvent des sentiments exacerbés un sujet fort (voir Retour à Howards End et l’essentiel de la filmographie de James Ivory ou, découvert en 2006, le très beau Lady Chatterley de Pascale Ferran). Outre les costumes, outre la reconstitution, le plaisir naît simplement des relations entre les personnages. Il est accru si ces derniers sont passionnés et que leurs échanges baignent dans la complexité (troubles et méprises sont les bienvenus). Il en devient délectable lorsque les dialogues sont fins et recherchés (Orgueil et préjugés de Joe Wright sorti aussi en 2006). Toute la difficulté, me semble-t-il, est de conserver une filiation romantique (un romantisme d’art littéraire ou pictural qui assure une certaine noblesse aux histoires racontées), en s’appliquant suffisamment pour ne pas sombrer dans la fadeur ou l’excès (un exemple parmi d’autres, Reviens-moi en 2008 du même Joe Wright, avec Keira Knightley et Romola Garai). Les adaptations inspirées par les sœurs Brontë ou Jane Austen sont aussi parfois, pauvres auteurs !, sources privilégiées pour de malheureux ratages cinématographiques (comme en 1997, Emma l’entremetteuse de Douglas McGrath avec Gwyneth Paltrow et Ewan McGregor).
Après Sous le sable (2000) et Le temps qui reste (2005), François Ozon adapte le roman éponyme d’Elizabeth Taylor, qu’il a longtemps gardé sous le coude*, et fait d’Angel un mélodrame exaltant et plein d’excès à l’image de l’héroïne. Grâce à son éditeur (Sam Neill) qui la publie contre l’avis de tous, Angelica Deverell (Romola Garai) devient un écrivain à succès. Très tôt déterminée à fuir une vie terne, son ascension sociale est extraordinaire, sa chute fulgurante. Ainsi, Angel vit à Paradise, bâtisse neo-gothique quelque peu enflée, aux intérieurs riches et surchargés, demeure dont elle rêvait adolescente en restant plantée derrière son haut portail de fer. Elle ne se prive de rien. Surtout pas d’être outrageante lorsqu’elle lance à Charlotte Rampling qu’elle n’est que la « femme de l’éditeur » et lui fait entendre qu’elle n’a pas à se mêler de ses écrits. Son attitude avec le mari qu’elle prend, le peintre Esmé (Michael Fassbender), est faite de caprices. Angel et Esmé appartiennent à des mondes différents. Elle est d’ailleurs enfermée dans le sien et le petit monde qu’elle s’est construit lui suffit (voilà l’attraction romantique italienne repoussée : « Il y a quelque chose en Italie qui réveille la vulgarité en nous »). Angel est dans les froufrous et les couleurs vives, Esmé est sombre comme ses toiles (loin d’un Seurat ou d’un Renoir, plus proche des Viennois Schiele et Kokoschka). Angel ne s’intéresse à Esmé que pour attirer son regard. Lui profite de ses revenus. Au mieux, elle n’est qu’une conquête amoureuse. Les personnages ne réagissent les uns aux autres qu’en de rares occasions, véritablement lorsque Esmé part à la guerre et détourne définitivement les yeux d’elle. La Grande Guerre est un tournant pour Angel qui refuse tout engagement. Esmé part à la guerre et cet homme qui lui échappe, qu’elle n’a pu avoir pleinement, entraîne sa déchéance. On doute de l’amour qu’elle lui porte ; n’est-il pas qu’un autre caprice, qu’une exigence irraisonnée et insatisfaite ? Angel parle de son désir comme si cette seule insatisfaction, la seule résistance qu’elle rencontre, était la cause de son dépérissement. Le dernier mouvement de caméra, partant de Paradise et s’effondrant lentement sur la tombe d’Angel, est remarquable.
Angel fait de sa vie un rêve et Ozon calque sa réalisation sur le personnage. La facticité devient le principal thème de sa mise en scène (nuit américaine, décors de studios, couleurs saturées…). La façon de faire du cinéaste sert Angel en représentation : l’actrice est au centre des plans filmés, mise en évidence par des robes qui même à l’époque ne pouvaient passer inaperçues, par des poses qui la transforment en objet d’admiration. Un des grands atouts du film est bien sûr de se référer aux mélos du Technicolor hollywoodien des années 1950, les œuvres de Douglas Sirk en tête (ce qu’avait brillamment fait Todd Haynes en 2002 avec Loin du paradis). La musique, par son trop plein de violons, exagère le lyrisme du film (le compositeur Philippe Rombi s’inspire de morceaux de Frank Skinner qui a travaillé avec Sirk ou de Bernard Herrmann*).
L’envie de François Ozon d’adapter le roman de Taylor naît avant même qu’il ne réalise Swimming pool en 2003 et entre les deux œuvres plusieurs similitudes sont relevées : les rapports entre l’auteur et l’éditeur, entre la réalité et l’imaginaire, et même le tournage en anglais*. Différents de tous les films évoqués ci-dessus, Angel est un très bon mélodrame moderne.
* Entretien avec François Ozon par Philippe Rouyer, dans Positif, n°553, mars 2007, p. 21.