«Mon parcours en tant que malade diagnostiqué bipolaire a été chaotique, jalonné d’internements et de passages en chambre d’isolement. Mais sans ça, je n’en serais pas là aujourd’hui. Ces épreuves m’ont donné l’envie d’aller vers les autres patients», explique Jean-Pierre Julien. “Là”, c’est son nouveau statut de médiateur de santé pair, à la charnière entre le patient en psychiatrie et le corps soignant. Ce projet lancé en France en 2011 permet à des personnes ayant traversé des épisodes de troubles mentaux d’accompagner, après formation, des malades présentant des pathologies mentales.
Créé sous l’impulsion du Centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé (CCOMS) et des agences régionales de santé (ARS), ce projet pilote a permis la mise en place dans trois régions (Ile de France, Nord-Pas-de-Calais et PACA) d’une trentaine d’emplois de patients médiateurs au sein d’unités de soin en psychiatrie. Ces postes sont pourvus par des anciens malades qui ont suivi une formation de 260 heures. «Au-delà de cette formation conséquente, c’est la sensibilité propre au vécu et à l’expérience des médiateurs qui fait leur force», estime Jean-Pierre, graphiste de formation.
Jean-Pierre Julien intervenant jeudi à la mairie du XIe arrondissement de Paris. Crédit photo: Marie-Noëlle Delaby.
Une position symétrique avec le malade
En tant que médiateur, il propose aujourd’hui aux patients des hôpitaux de Saint Maurice à Paris des ateliers d’informatique. Au travers de ces ateliers qu’il anime avec un infirmier, il permet aux patients de mettre en texte et en image leur ressenti, de prendre possession de leur état. «En psychiatrie, on parlera plus volontiers de démarche “vers” le rétablissement que de guérison. C’est un travail de toute une vie, qui selon mon intime conviction passe par l’action. Le patient doit être à même de bouger ses lignes, de se prendre en main pour aller vers un mieux-être», rappelle Jean-Pierre. De manière très concrète, ces ateliers permettent aussi aux participants d’acquérir des compétences en informatique qui leur seront indispensables dans leur réinsertion professionnelle.
Pour le docteur Marie-Christine Cabie, chef de pôle du secteur de psychiatrie du 11ème à Paris où travaille Jean-Pierre Julien, l’atout du patient médiateur dans le parcours du malade est de proposer un positionnement différent de celui du corps médical. «Dans la relation entre soignant et patient, le premier a la position haute, le second la position basse. Qu’il s’agisse du médecin en qualité de prescripteur ou de l’infirmier qui applique la prescription, ils adoptent dans les deux cas la position de celui qui sait, tandis que le patient remplit celle de celui qui souffre.» Le médiateur de santé est en revanche dans une position symétrique avec le patient. En tant que pair, il offre donc une autre qualité d’écoute. «Ni meilleure ni pire, mais distincte», souligne la psychiatre. «Différente, plus à même de redonner au patient l’envie de se battre», complète Jean-Pierre Julien.
«Lutter contre la peur»
Dans son travail, le médiateur a affaire à des patients aux profils variés: bipolaires, mais aussi des personnes atteintes de troubles du comportement alimentaire (anorexie, boulimie) ou encore de troubles obsessionnels convulsifs (TOC). «Une des grandes questions est de savoir où se situe ma légitimité à travailler avec des gens qui n’ont pas la même pathologie que moi, reconnaît-il. Ce à quoi je réponds que toutes ces maladies psychiatriques reposent sur un socle commun à combattre: le repli sur soi, l’isolement et la peur».
Si l’engagement de Jean-Pierre Julien auprès des patients en souffrance psychique ne date pas d’hier, la création des postes de Médiateurs de santé-pair a selon lui le mérite de donner une légitimité et une reconnaissance à son travail. Une valorisation qui reste cependant contestée par certains. «L’intégration aux équipes n’a pas toujours été facile, reconnaît-il. Certains membres des équipes soignantes craignent que l’arrivée des médiateurs de santé n’ait d’autre but que de remplacer le personnel qualifié par des embauches au rabais». La création des postes de médiateurs a en effet provoqué dès 2011 une violente levée de bouclier de la part des syndicats infirmiers et les tensions demeurent. «La notion d’accompagnement du patient est à la frontière des compétences des travailleurs sociaux, paramédicaux et désormais des médiateurs, et cette ambiguïté est susceptible de favoriser des hostilités», admet Marie-Christine Cabie. «Mais l’idée fait son chemin petit à petit, dans l’intérêt du patient».
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