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Des goûts et des Chinois (V. Vercelli)

Publié le 31 mars 2013 par Egea
  • Auteur invité
  • Chine
  • Chronique

Vincent Vercelli est un jeune étudiant parti faire un stage, dans le cadre de son master 2 de droit, dans un cabinet d’avocats chinois. Il a de l'observation, et une belle plume. Cette chronique, transmise par PTH, vous apprendra finalement bien plus que les gloses habituelles. Savoureux, même quand on n'aime pas le doux-amer et autres chinoiseries.

Des goûts et des Chinois (V. Vercelli)
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Chronique d’un voyage en Chine (5)

« Le mauvais goût est la chose la plus universellement partagée ». En France, nous avons tous nos petits plaisirs au comble du kitsch que nous tentons de camoufler tout au long de l’année mais qui resurgissent inexorablement pendant les vacances au bord de la Mer (qui n’a jamais songé sérieusement à s’offrir un bol avec son prénom inscrit dessus ou un T-shirt à l’effigie du village sympa du coin ?) ou lors d’un voyage dans une contrée éloignée. Dans ce dernier cas, on pense toujours que rapporter une statuette en bois censée représenter une tribu locale amènera un peu d’exotisme dans notre salon (alors qu’une vignette sur un frigo suffit largement). En matière de chinoiserie, l’indispensable est sans conteste le rouleau qu’on pense peint à la main sur lequel on aperçoit un paysage asiatique, donc avec des bambous et des chapeaux pointus, ou encore mieux des caractères chinois. Si on nous dit qu’il s’agit d’encre de Chine, c’est l’apothéose absolue.

Les Chinois sont aussi très forts en la matière. Mais à ceci près que leur talent s’exprime tout au long de l’année. Lorsque l’on arrive en Chine on ne s’en rend pas immédiatement compte bien que le porte-clés doré en forme d’écrevisse suspendu au rétroviseur du taxi ne laisse rien présager de bon.

Puis, en jetant un œil à l’extérieur on peut avoir la chance d’être témoin de ce trait de caractère. En effet, dans les rues de Ningbo il arrive parfois de croiser des voitures roses pailletées, rose fuchsia à fleurs blanches ou rouges à l’effigie d’Hello Kitty. On se dit spontanément qu’il s’agit d’une forme de tunning dans une version plus soft que ce qu’on peut voir sur les parkings des Super U français les vendredis soirs. Mais en réalité pas du tout « c’est juste que c’est la voiture d’une fille, donc elle doit être rose ou avec des trucs de fille dessus, c’est tout ».

Ensuite, il suffit de se promener dans les parcs de la ville ou les lieux touristiques pour s’apercevoir que les Chinois adorent prendre des photos ! Cela fait beaucoup penser à cette idée du touriste asiatique avec son énorme objectif mitraillant tout ce qu’il peut dans les rues de Paris. Avec un sens de l’observation un peu plus aiguisé un détail au début anodin prend soudain beaucoup plus d’importance. Les Chinois ne prennent pas de photos, ils se prennent en photo. Inutile d’être à la place du photographe pour le savoir, l’idée est de prendre une pose jugée adéquate devant ce qui est censé être l’objet central de la photographie. Généralement cela consiste à rester droit comme un pilotis sans aucune expression de joie sur le visage, même si parfois certains s’autorisent un signe de la main et un sourire. Cela est tout à fait normal, se soumettre à un tel rituel trente fois par jour ne donne pas forcément envie de rigoler. Alors pourquoi ? Une photo de tel ou tel lieu ne prouve pas qu’on y a été, alors que si on est dessus...

Un illustre inconnu écrivit ceci à propos de l’un de ses voyages en Chine datant d’il y a quelques années : « Choc culturel dans le train : les Chinois du wagon regardent mes photos de vacances. Ils ont le temps : le trajet Pékin-Canton dure 34 heures. Pourtant, mes photos défilent à vitesse cinéma. Une quinzaine de lieux touristiques Chinois entr'aperçus en trois minutes. Il faut dire qu'ils ont une excuse : je n'apparais pas sur les photos; je me contente de les prendre. Des photos sans sujet ? Mais quel intérêt ! De temps en temps, une photo capte quand même leur attention - “Qui est-ce ?” ».

Dans le même registre mais sur un ton différent, prendre des photos d’identité est une expérience très intéressante. Cela se fait chez un « photographe professionnel » sur un tabouret en plastique dans un espace aménagé avec un fond blanc et un projecteur. Pour le moment, aucun photomaton n’a été aperçu à Ningbo. Le jeune photographe demande alors de se tenir droit et de coller le menton contre le torse pour avoir un regard plus « pénétrant » (si la traduction est incertaine, on peut imaginer la scène du film Lost in Tanslation dans laquelle Bill Murray complètement désarçonné se soumet à une telle séance avec un photographe japonais incompréhensible). Après plusieurs essais, s’ensuit une séance de retouchage. De la correction des imperfections du visage à un éclaircissement de la peau, tout y passe. Puis place à l’uniformisation de la silhouette, pas un seul épi ne doit déborder ! Pas évident lorsque l’on est bouclé. Le résultat est assez spécial, dérivé d’un surréalisme exigeant rendant un visage presque inhumain mais pourtant si familier…

Du coté des tenues vestimentaires rien d’incroyable à signaler si ce n’est que beaucoup de Chinois, jeunes comme moins jeunes, sortent régulièrement en pyjama dans la rue. Généralement composé d’un pantalon et d’une veste (bien qu’il arrive d’en croiser en peignoir), ils peuvent être en laine ou en velours, rose ou bleu, souvent à motifs liberty ou à l’effigie d’un quelconque dessin animé ou super-héro Marvel. Les Chinois les affectionnent sans doute pour leur confort bien que l’occasion de leur demander leur avis ne s’est pas encore présentée. Surprenant au début, on finit par s’y habituer. Ce qui reste néanmoins incompréhensible est cette adulation pour les personnages « Hello Kitty ! » et le singe « Julius » de Paul Frank. Ces deux logos sont présents absolument partout, des vêtements aux sacs en passant par les sièges de voitures et bien sur les protections pour tablettes et Smartphones.

Il est également impossible de ne pas relever le grand nombre de sacs et autres foulards Gucci et Louis Vuitton dont les imprimés sont mondialement connus et très appréciés sur les terres asiatiques. D’ailleurs la première boutique Hermès est sur le point d’ouvrir à Ningbo provoquant l’excitation latente de centaines de fans. Il est étonnant de voir que d’autres imprimés célèbres ont plus de mal à générer une telle ferveur. « Burberry c’est trop cheap tu comprends... » Enfin, il est très courant de croiser de jeunes femmes se faire prendre en photo dans la rue par des photographes « professionnels » amateurs de street-style afin de publier leurs tenues sur différents blogs, la tendance « je suis une bloggeuse-mode et je m’aime » ayant fait son chemin jusqu’en Chine.

Ces quelques détails ne sont pourtant pas significatifs lorsque l’on sait ou se trouve la véritable traduction des gouts Chinois. Rien ne détrônera l’incroyable décoration des appartements des familles Chinoises. Il suffit de se rendre dans les magasins spécialisés en décoration d’intérieur pour prendre conscience de l’impressionnante quantité de Chinoiseries au comble du kitsch disponible. Cela dit, le meilleur moyen est de se lancer dans la recherche d’un nouvel appartement en vue d’un emménagement car au cours des dizaines de visites dans différents quartiers de la ville, on pourra alors découvrir la régularité de certaines abominations (qui peuvent cependant plaire à beaucoup mais qui sont loin d’être au gout de l’auteur de ces lignes).

A première vue, trouver un appartement en Chine ne pose pas de réel problème. Les grandes villes sont des chantiers en soi, des immeubles sortent de terre à tous les coins de rue, et on ne compte plus le nombre de « nouveaux » quartiers avec leurs résidences flambant neuves. Néanmoins, la spéculation qui dévore le marché de l’immobilier Chinois fait sensiblement grimper les prix. En bordure extérieure de Ningbo, une résidence comptant une quinzaine d’immeubles de 35 étages chacun est encore en cours de construction mais quasiment l’intégralité des appartements a déjà été vendue. Les acheteurs sont des sociétés immobilières, des banques, ou d’autres investisseurs qui misent sur l’expansion de la ville et la croissance des prix pour revendre leur bien un fois les immeubles achevés. Il arrive très souvent que des quartiers entiers aient déjà été achetés mais demeurent entièrement vides.

Le même phénomène s’observe du coté de l’immobilier commercial ou des dizaines de building restent inoccupés. Certains misent parfois trop grand. Pour l’anecdote, une grande chaine d’hôtels fit bâtir un grand complexe 5 étoiles à Ningbo composé de centaines de chambres, suites et appartements et équipé de plusieurs restaurants, piscines, saunas etc. Le pic de clientèle au cours du mois de février s’est élevé à onze clients...

Pour les plus malins, il est intéressant de savoir que les Chinois sont très superstitieux. En observant le nombre d’étages d’un immeuble dans l’ascenseur on remarque qu’il n’y a pas de 13eme étage. Après le 12, il y a le 12A puis le 14 (parfois il n’y a pas non plus de 14 mais un 12B). Donc si un immeuble affiche un étage portant le nombre 13, il y a une chance pour que les prix soient moins élevés uniquement à ce niveau. De même, une tour destinée à abriter des bureaux avait été construite juste en face de l’arrivée d’un pont. Quelle erreur ! Selon les superstitions Chinoises, le pont représente l’épée qui coupera les entreprises en deux et ruinera leur propriétaire !

Enfin prenez garde au moment d’acheter car le prix ne comprend pas toujours l’aménagement. Une signature un peu trop rapide et vous vous retrouverez avec uniquement les murs et vos yeux pour pleurer car il n’y aura ni peinture, ni sol, ni quoi que ce soit d’autre (dans ce cas inutile de compter sur un éventuel délai de rétractation, c’est un luxe inconnu des Chinois). A ce propos, lorsqu’un contrat est signé, s’il existe une version anglaise également signée, ce sera toujours la version Chinoise qui l’emportera en cas de mauvaise traduction, même si les deux contrats contiennent des clauses diamétralement opposées dans leur substance ou leur portée.

En même temps peu importe car en ayant vu l’aménagement réalisé par le propriétaire ou le précédent locataire, une irrésistible envie de tout démolir voit le jour. Alors que la mode occidentale contemporaine privilégie la sobriété, les tons neutres et les ambiances épurées, en Chine on se situe plutôt au niveau d’un festival de couleurs chaudes et voyantes. « A Ningbo, c’est tous les jours le carnaval de Rio ! » Et plus il y en a, mieux c’est : lampions rouges, bouddhas verts, paravents dorées, éventails géants, fontaines en marbre, statues en bois, gratte-dos en bambous, sans parler des peintures à motifs ni du triomphale canapé en cuir noir sur carrelage blanc. Telles sont les spécialités Chinoises.

Encore une fois, ce sont des généralités qui par définition ont leurs exceptions. Et après tout chacun ses goûts. Sans doute que la nappe à carreaux ou le nain de jardin n’est pas du goût de tous les Chinois (ni de tous les Français d’ailleurs). Et dire que certains pensent en faire trop avec un simple bonzaï sur leur bureau... Osez la fantaisie !

V. Vercelli


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