En qualifiant notre « Monsieur Bricolage » de « fade » et « manquant d’audace », même la presse dézingue François Hollande. La prestations de jeudi soir fut finalement aussi terne, aussi millimétriquement convenue, aussi calmement chiante que prévue. Et ce n’est pas bon signe.
Je pourrais, ici, revenir en détail sur l’allocation et la pénible élocution du chef de l’État. Je ne vous cache pas que je n’ai aucune envie de visionner, en différé, les petites tranches de gelée mièvre de l’échange entre un Pujadas au garde-à-vous et un président mal à l’aise. Mais ça tombe bien : la presse l’a fait pour moi et force est de constater qu’elle n’est pas tendre.
Elle n’a guère de mal, du reste : à peine tombés les scories de la contre-performance dormitive du chef de l’État, on apprend que les chiffres de déficits et de la dette publics, calculés par l’INSEE, seront encore plus mauvais que prévus. Pauvre petit capitaine de pédalo en pleine tempête ! Ses petites jambes de serin n’arrivent pas, malgré ses frénétiques coups de pédale, à ramener le frêle esquif à bon port…Cependant, quand on y réfléchit deux secondes, tout ce qui arrive ici était parfaitement écrit.
Oh, je ne parle même pas de l’aspect économique : quelques experts, libéraux notamment, ont largement expliqué pourquoi cette crise était profonde et pourquoi les recettes appliquées jusqu’à présent (des relances keynésiennes bouillonnantes, une « austérité » essentiellement basée sur un déluge d’impôts et de taxes) étaient vouées à l’échec. Non, ici, je parle du strict plan politique : Hollande était destiné au casse-pipe.
Sarkozy voulait le pouvoir pour lui-même et parce qu’il lui permettait de se mettre en scène, de montrer à tous ceux qui l’avaient toisé de haut qu’ils avaient eu tort. Faisant cela, même s’il n’a jamais eu, à proprement parler, la moindre classe, il avait indéniablement les comportements (et les emportements) d’un chef, et certainement plus que sa concurrente en 2007, qu’il a battue sans problème. Mais en 2012, à force de faire le contraire de ce qu’on attendait de lui, et de raconter n’importe quoi, il a fini par agacer tout le monde au point de donner la victoire à un candidat qui n’avait jamais été crédible et qui s’était ensablé là autant par hasard que poussé par une suite d’événements improbables.
Hollande, en effet, est un technocrate, un clerc de notaire qui, parvenu là par défection de combattants aguerris, ne sait pas à proprement parler ce qu’on attend de lui. Rappelez-vous qu’en juillet 2011, les primaires socialistes offraient une superbe brochette de bras cassés, explosion de DSK oblige. Montebourg, Valls et Baylet, tout comme Hollande, n’avaient jamais été ministres auparavant : des bleus. Les seuls qui peuvent alors prétendre à une certaine connaissance des coulisses du pouvoir national sont Royal et Aubry. Royal, sévèrement battue en 2007, surjoue son rôle de pasionaria, et ne convainc pas. Aubry, toujours aussi raide et dogmatique, rebute un peu trop. Qui reste-t-il ? Le moelleux.
Poussé par une presse bien plus acquise à la chute de Sarkozy qu’à une hypothétique réussite de Hollande, aidé par les boulettes excitées du président sortant, Hollande, dans un rêve éveillé, décroche la timbale. Une fois le pouvoir obtenu, pareil à une poule devant un couteau, il ne sait absolument pas s’en servir. Les six mois suivants passeront en grattage de gonades, en blagounettes légères, en petits déplacements, en anecdotes. Il a, simplement, fait ce qu’il a toujours fait ailleurs : placer des copains, modérer les dissensions internes, récompenser les petites mesquineries, arrondir des angles avec des promesses molles oubliées à peine prononcées, bidouiller un peu par ci, tripoter un peu par là. De direction, aucune.
Il faut comprendre que Hollande n’a, en pratique, jamais été réellement confronté à tout le peuple français.
Député, il était largement encadré par son parti, qui a fourni pour lui un cocon douillet, et un rail rectiligne vers le secrétariat, dans lequel il s’est confit avec bonheur (il faudrait suivre sa courbe de poids à ce moment là, ce serait symptomatique). Et côté élections, pour un type à peu près doué dans le compromis et les petits arrangements entre amis, bien dans son parti, le niveau départemental convenait parfaitement : il parvint donc à s’emparer du Conseil général de Corrèze sans grande difficulté ; pour la pratique de sa gestion, on n’aura aucun mal à se rappeler qu’il a laissé un département en faillite. Normal. Il s’en foutait.
Devenu président, il n’a jamais réellement quitté son rôle de secrétaire. D’ailleurs, avec Hollande, la France n’a toujours pas de président et n’a qu’un secrétaire. Et je ne parle pas d’un de ces bras droits dont on fait les successeurs, mais bien d’un dactylographe indolent, d’un preneur de note, d’un conseiller un peu obséquieux qui n’aura jamais l’ambition de prendre son destin en main (ce sont ses femmes qui s’en sont chargé).Et la prestation (dramatiquement) soporifique de Jeudi soir montre à quel point Hollande n’a toujours pas compris son rôle, l’ampleur du problème et ce qu’on attend de lui. Même la presse (allemande y compris !), le taxant de Monsieur Bricolage, a fini par comprendre l’impasse dans laquelle elle a, consciemment ou non, dirigé le pays en faisant croire à certains qu’il avait l’étoffe d’un chef.
Cependant, un pays sans direction n’est pas toujours un pays dans le péril. L’immobilisme, s’il ne prépare pas le succès, évite parfois la déroute en s’abstenant de foncer dans le précipice. Un Hollande mou aux manettes pourrait avoir cette (maigre) vertu. Malheureusement, à ce manque dramatique de direction claire, il faut ajouter un dogmatisme délétère : Hollande croit dur comme fer aux âneries socialisantes et égalitaristes qu’il lui arrive de débiter. Avoir nommé des individus comme Taubira, Peillon ou Vallaud-Belkacem aux postes qu’ils occupent en dit fort long sur les désirs humides de reconstruction de la société à grands coups de lois et de décrets. Et alors qu’il serait urgent de s’attaquer aux réformes de fond sur le plan économique, la France se trouve paralysée sur des questions sociétales, des débats que seule une nation véritablement prospère et optimiste peut se permettre de tenir.
Or, en temps de crise, les groupes ont cette fâcheuse tendance à se resserrer : la peur des lendemains qui ne chantent pas du tout amènent plus facilement que toutes autres choses les individus qui ont les mêmes affinités à se retrouver, à s’assembler. Contre toute logique, Hollande parvient ainsi à cliver bien plus que Sarkozy, jusqu’à agglomérer contre lui des groupes jadis hétérogènes : des sénateurs communistes qui votent avec des sénateurs UMP contre les propositions du gouvernement, des catholiques qui défilent avec des musulmans, des chats qui couchent avec des chiens… Sentez-vous ce parfum de cordeau Bickford qui se consume vigoureusement dans la mauvaise direction ? En votant pour Hollande, des Français ont délibérément choisi un opposant à Sarkozy en croyant élire un air de changement. En réalité, ils ont élu un nul avec des idées catastrophiques. Et donner tous les pouvoirs à un nul aux idées délétères, c’est difficile de faire pire.
En vertu de quoi, ce pays est foutu.