Chronique de Milan, par Clémence Tombereau…

Publié le 30 mars 2013 par Chatquilouche @chatquilouche

 Elle regarde la fontaine.  Il la regarde regarder la fontaine, immortalise la scène en une photo rapide, intérieure – il préfère la regarder, la garder, la graver dans sa mémoire : c’est là que les photos s’exposent sans pudeur, déformées quelques fois par le penchant fatal qui enjolive chaque instant du passé.  Il ne voit qu’elle.  Les impossibles touristes, tout autour, sont oubliés, effacés par la fascination qu’elle exerce sur lui.

Profil d’icône, cheveux ondoyants sur l’épaule – improbable cascade concurrençant la fontaine – pose abandonnée : elle observe la fontaine et ses statues, mais si l’on s’approche, vraiment, assez près, on comprendra qu’elle ne regarde rien, que le vide.  Elle pourrait être ailleurs.  Certains endroits sont beaux, mais leur charme compte moins que la certitude d’être là.  On peut alors fermer les yeux et prononcer intérieurement les mots qui dessineront une splendide réalité : je suis devant la fontaine de Trevi.  Je suis au bord de cette eau que des millions d’yeux ont caressée.  Je vois Anita Ekberg y danser, insolente et sensuelle.  Je vois la Dolce Vita, même les yeux fermés.  Je ne vois que cela, même si je regarde le vide.  Je suis ici, maintenant, hors du temps, figée dans la pellicule d’un génie, pour toujours.  Mon esprit et mon corps deviennent des statues éphémères.  Je vais bientôt bouger.  Je vais quitter ce lieu et je laisse sur ce marbre des poussières de moi-même.  Ce sont là ses pensées.  C’est là l’explication à son regard dans le vide.  Elle est tellement là qu’elle donne l’impression d’être absente – et il adore ça.

 La tombe des chimères

Par Evelyne Renoux

Je ne dors que dans les nuages, car les lits sont trop durs pour moi, et si ta peau d’aventure se glisse entre mes doigts comme un poison, il y a peu de chances qu’elle échappe au désir qui défie la raison.

L’azur se courbe sous le sommeil du monde las, tandis que le soleil s’immole sur le bûcher de tes espoirs, pareil à ces divinités païennes dont le sang baigne le pavé des temples.  Les dieux sont morts et les rituels sont des fantômes dessinés sur les murs — parfois indéchiffrables.  Je suis un sacrifice aux contours indécis, baignant dans le halo des croyances défuntes, déjà assassiné par les guerres larvées dans le cœur mort des hommes — insectes opiniâtres rongeant l’âme comme un os, déchiquetant en silence cette chair savoureuse.  Choir, comme toujours, au nom d’une quelconque raison, d’un quelconque principe, choir comme un diable certain qui voulait la lumière, nocturne papillon bouffé par le feu.  La chute ne se fait pas sans une forme de sensualité, tant qu’elle finit sur les nuages dont les formes rappellent un monde qui, peut-être, n’a jamais existé.

Notice biographique

Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan.  Elle a publié deux recueils, Fragments, et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge Déclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai (Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes.

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