Un long billet de Michael Pettis sur l'Espagne me fait penser cela.
Cet économiste américain, spécialiste de la Chine et membre de la Fondation Carnegie, évoque la crise européenne et plus particulièrement la situation de l'Espagne.
Il explique que derrière l'apparent réconfort des marchés, il reste de sérieux doutes sur la solidité de la zone euro. L'idée n'est pas neuve, l'explication est un peu plus originale.
Il explique en effet que l'on imagine actuellement que les pays de la périphérie européennes n'ont que des problèmes de liquidité, que la BCE s'est engagée à régler (pour les lecteurs non économistes, il faut distinguer en effet deux situations l'illiquidité et l'insolvabilité. L'illiquidité est la situation où vous avez suffisamment d'actifs, de biens, pour rembourser vos dettes, mais pas en liquide, pas immédiatement disponible. L'insolvabilité c'est quand même en vendant les bijoux de famille, vous ne pourrez jamais payer vos dettes.
A une débiteur illiquide, on peut accorder des prêts supplémentaires, temporiser. C'est ce que tout le monde semble pouvoir faire aujourd'hui, avec l'assentiment de la BCE. Face à un débiteur insolvable, on est bien obligé de reconnaître des pertes.
Pettis raconte comment, en 1982, il est apparu que les pays d'Amérique latine avaient un endettement excessif. Il a fallu huit années pour qu'il soit reconnu que ces pays étaient insolvables.
Huit années pendant lesquelles les banquiers ont affirmé que tout allait bien, et que de simples aménagements conviendraient.
En réalité, pendant ce temps, les banques constituaient des provisions pour pouvoir encaisser les pertes qu'ils anticipaient en réalité, sans vouloir le reconnaître publiquement (car dès que l'on reconnaît qu'une dette est perdue, il faut prendre en compte cela comptablement : pas avoué, pas perdu. Il suffit, pour que cela fonctionne, que toute la place bancaire adopte le même comportement.)
D'où le pronostic de Pettis pour l'Europe : de nombreuses banques savent qu'il va y avoir de la casse, et ont comme stratégie d'accumuler des provisions pendant quelques années pour pouvoir, le moment venu, prendre leurs pertes. A charge pour les populations de supporter encore quelques années de politiques économiques imbéciles et de chômage.
Petit apparté à ce sujet, Krugman a superposé les courbes de croissance en Europe dans les années 30 et maintenant. Il montre deux choses : la crise a été plus forte dans les années 30 que maintenant. Le système social mis en place en 1945 a probablement amorti le choc. il montre également que la reprise est plus lente maintenant que dans les années 30 :
Je préfèrerais donc que cela craque tout de suite, quitte à devoir nationaliser les banques qui viendraient à vaciller.
Parce que de toute façon ça doit craquer.
Pettis voit l'Espagne comme le pays dans la pire situation. Pour lui, seul l'orgueil et l'attachement au projet politique européenne peuvent expliquer que l'Espagne s'attache à la monnaie unique. Pettis engage même les intellectuels français à libérer les espagnols de leur engagement européen ("But the Spanish still have a lot of pain to absorb. By the way if we were to see an intensification of the debate in France about the euro, I suspect that this will give a green light to Spanish public intellectuals, for whom France is the North Star, to discuss the prospect themselves. Until then, in Spain you are not really supposed to talk about abandoning the euro if you want to be taken seriously.")
Pour Pettis, sortir de l'euro et une politique économique sérieuse peuvent permettre à l'Espagne de renouer assez vite avec la croissance ("Crisis-stricken countries that have forced through robust reforms to address their comparative lack of competitiveness will continue to struggle under the burden of high debt and an overvalued currency, but once they directly address both, growth usually returns quite quickly.")
Conclusion personnelle : il est fort possible que la fin de l'euro soit déjà intégrée par plusieurs banques, qui amassent des provisions pour passer le moment de la transition vers des monnaies nationales.
Les gouvernements qui choisiront de donner ce temps aux banquiers (et les Mélenchon qui les justifient en soutenant l'euro), agissent contre leurs populations, et arbitrent en faveur du chômage.
Si François Hollande entendait prouver que son ennemi c'est la finance, il devrait sortir de l'euro au plus vite, pas attendre que le système s'effondre sur lui-même.