L’Argentine sous la menace des exigences des « fonds vautours »

Publié le 29 mars 2013 par Eldon

Le Monde

Une nouvelle manche doit se jouer dans la bataille qui oppose l’Argentine à ceux qu’elle appelle les « charognards ». Surnom sans équivoque pour ces fonds spéculatifs qui s’estiment lésés par la spectaculaire faillite du pays en 2001 et exigent de récupérer leur dû.

Le pays devait présenter d’ici vendredi 29 mars, à minuit, une formule alternative de remboursement de sa dette envers ce groupe d’investisseurs. Le spectre d’un nouveau défaut plane, faute d’accord entre les parties.

Le litige a gagné en intensité depuis qu’à l’automne 2012, un tribunal new-yorkais a donné tort à Buenos Aires contre ces « fonds vautours ». Et ordonné le remboursement intégral de leur mise, plus les intérêts. Soit 1,33 milliard de dollars (environ 1 milliard d’euros), à verser dès lors que le pays paie ses autres créanciers.

Le jugement a été renvoyé en appel. L’Argentine n’est guère optimiste, ayant déjà essuyé toute une série de revers ces derniers mois.

L’affaire est vieille de plus de dix ans. Après s’être déclaré unilatéralement en défaut sur sa dette, en décembre 2001, le pays a commencé de dures négociations avec ses créanciers privés. En deux temps, en 2005 puis 2010, plus de 90 % d’entre eux ont accepté l’offre mise sur la table : celle-ci imposait une décote sur leurs titres allant jusqu’à 75 %.

Mais une minorité, entre les mains de fonds spéculatifs, a toujours refusé ces opérations d’effacement partiel de la dette. Le plus célèbre, Elliott, propriété du milliardaire Paul Singer, a multiplié les procédures judiciaires et les opérations coup-de-poing. Telle la saisie, en octobre 2012, d’une frégate de la marine argentine dans un port du Ghana.

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La présidente argentine, Cristina Kirchner a longtemps refusé toute négociation avec ces créanciers récalcitrants. D’abord et avant tout par principe : les« charognards » font de lucratives affaires en achetant à vil prix la dette des Etats au bord du gouffre financier.

Sous pression de la justice, Buenos Aires a commencé, fin décembre 2012, àchanger son fusil d’épaule. Et proposé de rembourser les fonds spéculatifs aux mêmes conditions que les autres porteurs d’obligations. Sans succès. Ceux-ci réclament le paiement de 100 % de la dette, rien de moins.

A quelles concessions le pays est-il prêt ? L’Argentine est face à un dilemme. Soit elle accepte un remboursement intégral, mais le scénario est peu probable car il ferait à coup sûr sauter les accords passés avec tous ses autres créanciers. Soit elle propose une formule « allégée », au risque de ne satisfaire ni les fonds ni les juges de New York. Le conflit pourrait conduire le pays à un nouveau défaut de paiement sur sa dette renégociée.

Le feuilleton est suivi de près par la communauté financière internationale. Si les fonds vautours obtiennent gain de cause, l’affaire ne risque-t-elle pas de fairejurisprudence dans les futurs processus de restructuration de dette ? Et donner toujours plus de pouvoir aux créanciers les moins coopératifs ? « Toute cette histoire risque surtout de renforcer l’exclusion de l’Argentine vis-à-vis des marchés internationaux alors qu’elle traverse une période économique difficile », relève Carlos Quenan, chercheur à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine et économiste chez Natixis.

Jusqu’ici, le pays a pu vivre sans les marchés financiers. Il a tiré profit d’une croissance dynamique tout au long des années 2000 pour présenter des budgets équilibrés : des gains de compétitivité, l’essor du voisin brésilien, et surtout l’explosion des cours mondiaux des matières premières agricoles, qui représentent plus de la moitié des exportations argentines, lui ont permis de dégager des excédents.

Mais la donne est en train de changer. La déprime mondiale, de mauvaises récoltes agricoles, les effets négatifs des limitations imposées par le gouvernement sur les importations et le taux de change ont fait chuter la croissance : elle est passée de 9 % en 2011 à 1,9 % en 2012.

Le protectionnisme a isolé le pays sur la scène internationale. Et l’agence de notation Moody’s soulignait, dans un rapport le 17 mars, attendre en  d’une politique macroéconomique plus cohérente et responsable ».« Aujourd’hui, on soupçonne le pays de trafiquer un peu toutes ses statistiques, même celle du produit intérieur brut », souligne Christine Rifflart, de l’Observatoire français des conjonctures économiques.

Ces manipulations sont flagrantes concernant l’inflation : les chiffres officiels la situent à 10 % quand tous les économistes l’évaluent autour de 25 %. Le pays a sans doute intérêt à ce tour de passe-passe, une partie de sa dette étant indexée sur la hausse des prix.

Mais le Fonds monétaire international voit rouge. Dans une démarche tout à fait inédite, il a adopté, début février, une déclaration de censure à l’encontre de Buenos Aires. Le gouvernement jure qu’il travaille à l’élaboration d’un nouvel indicateur. En attendant, il vient de prolonger, jusqu’à fin mai, le gel des prix décrété le 1er février dans la grande distribution.

Marie de Vergès

Source: Le Monde