Source : Humanité.fr 25/02/2013
La créativité conceptuelle de l’anthropologue poète et philosophe suscite de nombreux travaux d’analyse qui soulignent la puissance critique de ses écrits.
Entours d’Édouard Glissant sous la direction de Valérie Loichot. La Revue des sciences humaines, n°309, 28 pages, 25 euros. Postures postcoloniales, sous la direction d’Anthony Mangeon. Éditions Karthala, 330 pages, 24euros. Quels sont les héritages, les échos et les prolongements de l’œuvre d’Édouard Glissant dans le monde aujourd’hui ? Comment rendre hommage à l’ami, poète et philosophe, disparu il y a deux ans ? Dans la pensée contemporaine, l’art et la culture, la science ou l’écologie, l’œuvre protéiforme de Glissant accompagne les transformations en cours. La puissance de ses écrits – littérature (poésie, roman, théâtre), philosophie, politique et anthropologie – s’inscrit dans l’actualité, entre la mémoire des humanités et le choc des différences à venir. Les notions déployées par Glissant – archipel, diagenèse, opacité, créolisation, identité nomade, tout-monde – incarnent les enjeux du présent et annoncent les débats de demain.
Dès l’ouverture du volume Postures postcoloniales, ouvrage collectif qui constitue une vaste critique des discours occidentaux dominants, Anthony Mangeon rappelle que, pour Glissant, l’écrivain a un rôle central dans la société, à la croisée des cultures. À la fois « éclaireur » et « explorant », selon les mots de son Discours antillais (1981), le penseur postcolonial associe indépendance d’esprit et fantaisie créatrice, pour dire le paysage, conter l’histoire, écrire en présence de toutes les langues du monde. Leçon essentielle : l’artiste, à la fois solitaire et solidaire, scelle sa pratique poétique et ses engagements politiques, principalement l’anticolonialisme, pour faire œuvre de libération et contribuer à changer les imaginaires.
De son côté, Valérie Loichot insiste sur la transversalité, l’étendue et la relation, au cœur du projet glissantien. Réunissant une quinzaine de contributions, Entours d’Édouard Glissant revient sur la pensée de la relation, qui « nous apprend une pratique certaine du détour, de la relation et du geste généreux du donner-avec », comme l’écrit Valérie Loichot. Ni transcendante ni universelle, la relation chez Glissant opère une mise en répercussion des littératures et des cultures, elle fait apparaître des lignes de recoupement, avec de l’imprévisible et de l’opacité, de l’inattendu et du tremblement.
De l’oralité à l’écriture, des Caraïbes à la globalisation, la trajectoire de l’intellectuel martiniquais réinvente une parole unique, à la fois littéraire et politique, ouverte sur l’altérité et le multilinguisme. Dialoguant aussi bien avec Montaigne, Hegel ou Rimbaud, Glissant est sensible aux métamorphoses du monde. Le poète philosophe célèbre la pensée en mouvement. Inspiré par la célébration de la beauté chaotique, celle de la terre, du feu, de l’eau et des vents, Édouard Glissant n’a pas encore dit son dernier mot.