Le travail poétique tel que
nous l’entendons vient contredire l’idée du déroulement temporel qui structure
nécessairement notre existence. De par cette plongée dans le langage, nous
touchons bien – au moins par instants – à des plans de conscience qu’il nous
est impossible d’atteindre autrement, hormis peut-être par le biais du
rêve : mais ce grand continent reste pour l’essentiel englouti, comme on
sait, étant donné le peu de prises que nous avons sur lui et les maigres
récoltes que nous en ramenons
extrait d’un entretien
avec Matthieu Gosztola, pour Poezibao
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La mise à distance de la conscience ordinaire, d’où naît invariablement le
poème, semble ouvrir une faille dans le langage et donner accès par le biais
des images qu’il suscite à la terreur qui doit souterrainement continuer
d’habiter le cœur des hommes : celle des nuits anciennes où ils dormaient,
repliés sous des roches, enveloppés de ténèbres dont ils ne pouvaient que subir
la loi. J’ai souvent senti cette peur ancestrale repasser en moi, pendant
l’écriture, au rythme des saisons et de la violence « naturelle »,
animale, qui contraignait les premières communautés humaines. Et si ce phénomène
s’est peu à peu estompé, au fil des ans, je n’oublie pas que l’une des
fonctions du travail poétique consiste encore à affronter cette
« inhumanité »-là : non certes pour s’y complaire, mais afin
d’entrevoir plus lucidement la part d’ombre ou de nuit qui nous habite.
extrait d’un entretien
avec Mathieu Gosztola, volet 2, pour Poezibao.