Spring Breakers est un film (de) malade, reflet agressif et monstrueux d’une Amérique crétine et désaxée. Aux commandes de cette gigantesque charge contre une jeunesse tout aussi stupide qu’à plaindre, on trouve Harmony Korine (scénariste des bombes signées Larry Clark) et Benoît Debie, chef opérateur de Gaspard Noé, une association trash qui fait des miracles à l’écran. Le vernis couleur fluo des icônes adolescentes baigne dans le sang, l’atmosphère dégénérée côtoie les rêves et illusions déchues, le second degré ironique se dope au pathos et transforme les joyeux projets (X) en cauchemars insensés. Le point de départ de l’intrigue est donc le fameux "Spring Break", vacances de printemps des étudiants américains friqués qui s’enferment, pour quelques jours, dans une bulle d’alcool, de seins, de sable, de sexe et de drogues. Le nouveau rêve vicié des poupées MTV, des gars bodybuildés, des gosses de riches. Quatre jeunes américaines, fauchées et désespérées par leur quotidien universitaire, décident de braquer un fast food du coin pour se payer leur billet direction Bikiniland. Ce sera un aller sans retour: destruction massive de leur innocence, exposition hallucinée de leur vacuité. Au son de Skrillex et via une manipulation géante du son et de l’image, Korine sature les codes ingurgités par la jeunesse pour mieux les détruire. D’une caméra sans cesse en mouvement, il embrasse des carcasses vides et sans neurones, expose la dépouille d’un rêve américain, mort et enterré avec les années 2000, les rappeurs aux dents en or (James Franco, hilarant), les obsessions uniques (argent, guns, chair et apparences), et les ambitions tristes (la vie comme une fête éternelle). Ses jeunes filles, ironiquement incarnées par les égéries pop du moment (Selena Gomez, Vanessa Hudgens, Ashley Benson et Rachel Korine), il les dénude face caméra, prises au piège d’une prière-gangrène, un « Spring break forever » susurré tout du long comme les derniers chuchotements d’une époque-cadavre.
Violemment, c’est un instantané générationnel très sérieux qui s’impose sous nos yeux, une sorte de trip pervers et sans espoir qui prend à contre-pied son monde. Car Spring Breakers n’est pas une apologie de la teuf et de la non prise de tête : c’est carrément le contraire. Un brainstorming bruyant, hybride, qui avale dans sa seconde partie, glauque, sauvage, la naïveté des jeunes filles pour la recracher sur la plage. Quelque part, Korine les saisit dans tout leur pathétisme : les coups de téléphone passés à leurs mères respectives, rassurants et assurant qu’elles n’ont jamais été aussi heureuses de toute leur vie feraient presque pleurer tant leur perdition épouse une détresse dont elles ne sont pas responsables. Finalement, elles ne sont que des produits post Britney Spears : consommables, consommés, utilisés, puis jetés. Les êtres-conséquences, et non caricaturés, d’une société consumériste, d’une dévotion au clinquant, d’un leurre médiatique. Fascinants, excusables, absurdes. Logique donc qu’il n’y ait plus, à la fin, aucune morale, aucune frontière entre le « vu » et le « faire », le fantasme et l’acte. Tout se mélange jusqu’au morbide, jusqu’au foutoir final qui sexualise l’arme, et érotise le crime. Donner la mort devient dès lors la seule jouissance possible. Il y a deux séquences qui se font écho par leur mise au ralenti dans Spring breakers : au début, une danse collective et lascive de corps au soleil, qui se touchent, qui se perdent, vulgaires, galvaudés ; et, plus tard, une fusillade sanglante où la chair est estropiée, mutilée, abîmée. Ce n’est, in fine, que la juxtaposition la plus criante d’un film qui use et abuse de ses contrastes et décalages: celui d’une même souffrance, d’un même gâchis, d’un même néant qui tourne en boucle, dérisoire, dingue, bête- à l’infini.