Parmi les sujets d'actualités, il y celle de l'identité numérique qui mobilisent de nombreux groupes ( voir par exemple celui de la Fing). Cette question s'associe à celle des traces que nous laissons un peu partout sur le net. Un bloggeur connu, FredCavazza, tente d'en donner un aperçu naif, car tragique. Il traduit ce désarroi que ce que nous sommes se résumerait aux mues que le serpent abandonne dans les buissons, à des rognures d'ongles, et des cheveux perdus. Notons au passage que c'est une vieille inquiétude, que des sorciers malins jouissent de ces résidus pour nous appliquer de nuisibles rituels.
L'identité numérique fait question dans la mesure où le fantasme que nos traces deviennent les moyens de notre contrôle. La question de l'identité numérique est étroitement associée à la question de la surveillance. Juste pour en donner un exemple, il suffit de lire cet article de Libération-Ecrans.
On peut être en désaccord avec cette paranoia, ce fantasme du complot, cette peur ancestrale que nous sommes dans chacune de nos particules, et que les fluides et les matières qui nous abandonnent sont autant de portes pour le diable et les esprits mauvais. Sans aucun doute la notion d'identité numérique est moins un concept, qu'un phénomène qui devrait être l'objet d'études psychanalytiques, ou du moins anthropologiques. Il y a en ce domaine une riche tradition qui nous rappelerait que la technologie ne crée pas de mondes nouveaux mais donnent de nouvelles formes à des phénomènes ancestraux. Les pythies de la modernité ne sont que de vieilles sorcières.
La notion d'identité numérique est bien plus intéressante si l'on peut l'aborder de manière moderne. Un poète éminemment moderne, Fernando Pessoa nous en donne une perspective remarquable, et c'est sans doute dans les trésors de sa critique littéraire que nous pourrons y former une pensée forte. Fernando Pessoa est un poète hétéronyme. Construisant une oeuvre à plusieurs voix, il est avec Freud, et Joyce, ces quelques uns qui ont mis en ruine l'idée romantique d'un absolu du sujet. Nous ne sommes pas un, et notre identité n'est pas une totalité. Pseudonyme, héteronyme, orthonyme...La littérature a beaucoup à nous apprendre.
L'identité numérique n'existe que pour autant que nous soyons un sujets unique. Près de 100 ans après Pessoa, l'internaute et le consommateurs contemporain s'exercent à cet effort, d'exister comme une constellation de personnages qui dialoguent d'un monde à l'autre. Si identité il y a, c'est dans ce dialogue, dont un personnage invisible détient la clé de transcription.
C'est ce sujet nouvellement moderne qui mérite aujourd'hui une attention. Non pas ses traces, ses rognures, mais la manière dont il joue de ses avatars, de ses adresses e-mail, de la manière dont il compose à travers les mondes du net, un bouquet de personnalités, négociant habilement avec chacune des aires dans lesquelles il établi un nid. Quel degré d'intimité accorde-t-il à chacun des sites qu'ils fréquente? Quel degré de connivence engage-t-il? Comment tente-t-il d'échapper aux tentative de contrôle? Quel est son art de la dissimulation? Comment organise-t-il les relations entre ses identités multiples, les personnages variés qu'il compose à mesure des sollicitations.
Ainsi la question de l'identité numérique, est surtout celle de l'absence d'identité, elle est plutôt celle du personnage numérique. Cet être sans substance avec lequel les marketers doivent traité, un être qui s'échappe quand on veut le saisir, et ruine nos études dans la mesure où au travers de ses comportements nous saississons moins l'essence d'une identité, que la stratégie d'un personnage.