Il y a comme un petit parfum de déroute à la SNCF, cet effluve nauséabond de décomposition qu’il devient de plus en plus difficile de camoufler derrière des slogans moelleux et des logos aux couleurs vitaminées. Et à l’heure d’internet, il suffit de taper le nom de l’entreprise nationale de problèmes sur rails dans un moteur de recherche d’actualité pour découvrir l’ampleur de la gangrène.
Bien sûr, si l’on parle des problèmes récents de la SNCF, on ne peut s’empêcher d’évoquer le consternant défi lancé en interne par la société pour retrouver plus d’une centaine de ses wagons perdus en pleine nature. On pourrait croire à une blague. Ce n’en est pas une mais plutôt une facture, aux frais du contribuable : oui, la Société Nationale de Chemins de Fer a égaré 150 wagons de plusieurs tonnes chacun, objets captifs par définition puisque sur des rails, et sur un réseau dont on peut naïvement supposer qu’il est connu de l’exploitant. Il faut parfois prendre quelques secondes pour bien saisir toute l’ampleur de la médiocrité fondamentale qu’il faut déployer pour arriver à paumer d’abondantes dizaines d’objets relativement larges, lourds et très peu maniables, et ce depuis plusieurs années (866 jours !) ; on a bien du mal à écarter de son esprit les images en noir et blanc des années 70 où une Union Soviétique paumait, elle aussi, des chars, des sous-marins ou des trains entiers à la faveur de gabegie, d’incompétence ou de détournements mafieux.
Mais finalement, cette histoire (pitoyable) de wagons perdus est, au regard du reste, anecdotique. En effet, si la société nationale avait, dans sa colonne crédit, suffisamment d’éléments pour compenser, on pourrait presque rire des petits égarements de facétieux wagonnets. Malheureusement, ce n’est pas le cas.
Comme je l’évoquais dans l’introduction, il suffit en effet de pousser un petit « SNCF » dans un moteur de recherche d’actualité pour saisir la profondeur des problèmes.
Par exemple, on apprend que, le 26 mars dernier, des cheminots, encadrés par la CGT Cheminots, étaient en grève du côté de Metz pour rouspéter contre la casse du service public et du fret et la fin des lendemains qui chantent.
Par exemple, on apprend que la CFDT Cheminots vient de lancer une alerte économique sur le fret, pleurnichant sur la baisse d’activité et la dette toujours plus grosse de cette branche d’activité de la SNCF.
Point intéressant, le porte-parole du syndicat explique :
« Nous constatons que, malgré les restructurations entamées il y a plusieurs années, la situation financière de cette activité continue à se détériorer »
Bien évidemment, le fier syndicaliste n’évoque pas trop le fait que le service offert par la SNCF en matière de fret soit trop cher, qu’il perde un peu des wagons de temps en temps, et que, d’un autre côté, crise aidant, les volumes transportés, dans le secteur automobile, les carrières et l’acier, très gros clients du transport ferroviaire de marchandises, continuent à baisser. Pour lui, le nouveau ministre des transports devra assurément se pencher sur le dossier du sauvetage du fret ferroviaire. Et puis c’est tout.
Par exemple, toujours en se servant de ce maudit moteur de recherche d’actualité, on trouve d’autres pépites, encore à propos du fret : non seulement cette branche de la SNCF accumule des pertes épiques depuis des années, non seulement les volumes diminuent, mais tout ceci se déroule alors que l’entreprise nationale fait absolument tout pour mettre des bâtons sur les rails de la concurrence directe, bâtons qui lui ont valu une amende de 60,9 millions d’euros. Ce qui signifie que sans ces petites crasses illégales et d’un bien mauvais-joueur, les résultats franchement mauvais de la fine équipe du fret seraient catastrophiques (SNCF, oui, c’est possible).
Si vous commencez à voir comme un motif récurrent se détacher de ces faits divers et variés, ce n’est pas complètement fortuit. Motif qui prend des contours plus précis à mesure que se poursuit notre voyage dans les entrailles des actualités consacrées à la SNCF et qu’on tombe, un peu stupéfait, sur la dernière proposition en date de l’entreprise pour régler quelques petits soucis de circulation : pour lutter contre la saturation de son réseau en Île-de-France, la SNCF propose aux entreprises de la région et sans se tacher le slip de modifier leurs horaires d’embauche, en échange de baisses de tarifs.
L’idée est de dé-saturer les trains des heures de pointe (de 7h30 à 9h00 et de 17h00 à 18h30), bondés à plus de 150%, afin de reporter une partie de la charge correspondante dans les horaires adjacents où l’occupation des trains peut chuter jusqu’à 40%. Oui. C’est mignon tout plein, sauf qu’évidemment, il ne va pas se trouver tant d’entreprises et d’individus que ça prêts à se déplacer plutôt dans la tranche 5h30-7h30, ou rentrer entre 18h30 et 20h00. Parce qu’évidemment, la tranche 9h00-10h30 est un peu amusante mais pas très crédible, et la tranche 15h30-17h00 à peu près réservée aux fonctionnaires… Eh oui : si les gens, bêtement, se déplacement majoritairement à ces moments là, c’est parce que les entreprises ouvrent et ferment leurs portes en même temps. Et si elles le font, c’est parce qu’économiquement, c’est ce qu’il y a de plus logique : difficile de coordonner le travail des gens lorsqu’ils ne sont pas encore arrivés ou qu’ils sont déjà partis.
Là encore, tout comme il fallait prendre quelques secondes pour essayer de comprendre comment la SNCF avait perdu 150 wagons, un petit instant de saine réflexion est nécessaire pour bien saisir l’ampleur de la fumisterie qu’on essaye de nous faire passer pour parfaitement normale, voire réfléchie.
En effet, ici, un service public est en train d’organiser, assez mal d’ailleurs, la gestion d’une pénurie : celle des trains de banlieue d’un côté, et du nombre de lignes de l’autre, qui lui incombent directement. On m’objectera que construire une ligne n’est pas simple. Je répondrai que la saturation actuelle n’est pas arrivée, brutalement, dans la nuit du 20 octobre 2012 vers 23:12, mais qu’elle est le résultat d’une absence complète de politique de gestion des passagers sur l’ensemble de l’Île-de-France depuis au moins une vingtaine d’années. J’ajouterai que l’état général du trafic routier, consciencieusement saboté par les élus débridés et les khmers verts décérébrés, a largement contribué à cette saturation catastrophique. Élus inconscients, écolos excités, managers incompétents, syndicalistes déchaînés, le tout barbouillé d’argent des autres : voilà un cocktail efficace pour un merdage en cinémascope.
Enfin, on ne peut que bondir à l’inversion logique de la relation client/fournisseur qui constitue la marque de fabrique de la soviétisation galopante dans laquelle est rentrée la société française en dandinant du croupion : ce n’est plus au service (du) public de s’adapter aux clients, mais aux clients, déjà largement bafoués, de s’adapter aux petits soucis de l’entreprise publique.
Tout montre à l’évidence que la SNCF a maintenant complètement abandonné toute prétention à un service public de qualité, ou à un service public, ou même à un service tout court. Ils consentent à faire rouler des petits trains ici et là, avec à peu près tous les wagons, parfois, globalement dans la bonne direction, et autour des horaires annoncés. Cette entreprise ne fait plus parler d’elle qu’au travers de la pile de problèmes qu’elle amasse : des vols de plus en plus spectaculaires (7 km de câble, bordel ; une tonne de cuivre !), la gestion du fret dans un état quasi terminal, la sur-saturation des transports en commun dans la zone parisienne, les grilles tarifaires incompréhensibles, et surtout, surtout, les grèves permanentes et systématiques pour tout propos et hors de propos.
Pas de doute : la SNCF vit, très probablement, ses dernières heures, qui, à l’évidence, s’annoncent douloureuses.