Le débat sur le mariage pour tous bat son plein, Délits d’Opinion a rencontré Jean-Pierre SUEUR, Président de la Commission des lois au Sénat où le texte sera débattu en séance public la semaine prochaine. Cet interview s’est déroulé début mars.
Délits d’Opinion : Les médias se sont fait l’écho de débats parfois houleux à l’Assemblée Nationale. Quel est votre sentiment sur la réalité du processus parlementaire qui s’est déroulé ces dernières semaines et quelles sont vos attentes sur celui qui doit se dérouler au Sénat ?
Jean-Pierre SUEUR : Sur tous les sujets dits de société, il y a des débats souvent très vifs en France. C’est d’ailleurs une de nos caractéristiques. Ils sont moins vifs souvent dans d’autres pays, par exemple en Angleterre ou en Belgique. Nous avons eu des débats très vifs, sur par exemple l’interruption volontaire de grossesse. Simone VEIL a été admirable lorsqu’elle a résisté aux propos parfois indécents tenus à son encontre. Une fois que le débat a eu lieu, finalement il n’y a pas eu de remise en cause de ce que la loi a décidé. Sur l’abolition de la peine de mort, il y a eu également de nombreux débats. Aujourd’hui, l’abolition de la peine de mort est largement approuvée, en France et dans de nombreux pays.
Aujourd’hui, nous sommes sur ce débat sur le mariage pour personnes du même sexe qui suscite beaucoup de controverses souvent vives, comme cela avait été le cas pour le PACS il y a une dizaine d’années. Ce qui est étrange, ce qui me frappe : ceux qui étaient acharnés contre le PACS, l’ont finalement accepté aujourd’hui. Ils nous disent : « Pourquoi instaurer le mariage pour tous alors qu’il y a le PACS ? ». Autrement dit, voilà qu’ils brandissent le PACS pour éviter le mariage pour personnes de même sexe.
Je suis à peu près persuadé que lorsque la loi sur le mariage de personnes de même sexe sera votée, elle rentrera dans les meurs. C’est une caractéristique de la France : nous sommes un pays qui aime le débat. Les évolutions sociales se font toujours dans une forme de dramaturgie : 36 a engendré des lois, la Résistance a engendré des lois, mai 68 a engendré des lois… Autrement dit, il y a toujours une dramaturgie à laquelle nous sommes habitués.
Au Sénat, nous avons multiplié les auditions. Celles-ci ont, au total, duré 50 heures. Elles se sont déroulées dans un climat très serein car nous avons pris le temps d’écouter. Nous avons reçu des philosophes, des psychanalystes, les associations familiales, les représentants de tous les cultes. Nous avons pris le temps de les entendre. C’est une des caractéristiques du Sénat : nous faisons en sorte que chacun puisse prendre le temps de s’exprimer. Nous ne voterons certainement pas conforme le texte de l’Assemblée. Nous le nourrirons de nos discussions, de nos réflexions et nous jouerons notre rôle de législateur.
Délits d’Opinion : On constate au sein de l’opinion une progression relativement constante sur cette thématique : comment expliquez-vous cette évolution ?
Jean-Pierre SUEUR : Les Français sont tolérants. Comment expliquer que la popularité de Christiane TAUBIRA, telle qu’elle est mesurée par les sondages, ait tellement augmenté, alors même qu’elle présentait un texte qui est censé donner lieu à beaucoup de protestations ? Les Français savent que les mœurs évoluent et que la loi doit prendre en compte ces évolutions. Ils rendent hommage à Christiane TAUBIRA. Et ce n’est pas un hasard si l’une des personnes politiques les plus considérés et respectés par l’opinion publique soit Simone VEIL.
L’homosexualité était considérée comme un crime, comme une faute : elle a été dépénalisée. Au sein de l’Eglise elle était considérée comme un péché, comme étant contre-nature. Aujourd’hui il y a une acceptation, il y a davantage de tolérance : on respecte que des êtres humains aient des orientations sexuelles différentes. Avec la reconnaissance de l’égalité des droits et du terme « mariage », on évolue vers une reconnaissance. Je suis favorable à ce texte car il répond à un désir de reconnaissance.
Le deuxième point fort de ce texte, c’est l’adoption.
Pourquoi suis-je aujourd’hui favorable à l’adoption par des couples homosexuels ? Pour une raison très simple, c’est qu’aujourd’hui des célibataires peuvent adopter des enfants. Soyons clair : il y a parmi ces célibataires qui adoptent des enfants des personnes qui ont une liaison avec des personnes de l’autre sexe ou avec des personnes de même sexe. Dès lors, pourquoi un homme ou une femme célibataire pourrait adopter un enfant et pourquoi un homme ou une femme qui a une relation avec quelqu’un d’autre ne le pourrait pas ? Refuser ce droit serait pour moi une pure hypocrisie. On discute beaucoup sur l’adoption et sur le droit à la reconnaissance des origines. Je suis très attaché à cela. A un enfant qui sera adopté par un couple de deux hommes ou de deux femmes, il faudra dire dès le début qu’il est issu d’un homme et d’une femme. Ce serait ridicule de vouloir le lui cacher.
Certains ont dit devant nous que dire la vérité était traumatisant. Je crois au contraire qu’il est toujours préférable de dire la vérité plutôt que de la cacher. Simplement il y a nécessité de psychologie et de prendre en compte les répercussions chez l’enfant qui apprend la vérité. Plus généralement, les auditions et les travaux de la commission des lois ont montré qu’il était nécessaire de revoir en profondeur l’ensemble de notre législation relative à l’adoption.
Ma position est claire : je voterai ce texte, qui en plus correspond à l’un des engagements du Président de la République. Sur la PMA et la GPA, j’ai beaucoup d’interrogations et je ne suis pas prêt à voter un texte aujourd’hui. Je crois qu’un législateur peut dire cela. Je suis clair dans mon esprit pour voter le texte tel qu’il est, avec différentes améliorations. Sur la PMA et la GPA, je suis traversé de profondes interrogations sur ce que cela induit. Je demande à pouvoir réfléchir. J’ai beaucoup de questions sur la notion de « droit à l’enfant ». Pour la GPA, la marchandisation du corps des femmes qui s’ensuit me pose également de très forts problèmes.
Délits d’Opinion : Dans un pays où les sujets de tensions sont de plus en plus nombreux et où la popularité du duo exécutif est faible, était-ce le meilleur moment d’engager ce combat ?
Jean-Pierre SUEUR : Était-ce le moment de parler de cela ? La réponse est oui : il y a toujours des problèmes politiques, sociaux ou économiques. Ce n’est pas parce que ces problèmes existent qu’il ne faut pas parler des questions sociétales. On pourrait dire de la même manière que ce n’est pas le moment de parler de la décentralisation, ce n’est pas la peine de parler des conditions d’exercice des mandats locaux ou des sondages… Il y a des sujets qui sont des sujets de fond. Il est bon que dans l’ordre du jour parlementaire, il y ait à la fois des sujets de société et des sujets sur le long terme. Il ne faut évidemment pas que le fait de s’occuper de ces matières soit un alibi pour ne pas traiter avec courage les sujets qu’appelle la crise actuelle. Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Propos recueillis par Olivier & Mayeul