Alexandra de Lapierre // Bouffeuse d’images
A 37 ans, Alexandra de Lapierre, conjugue avec brio sa vie de mère de famille et celle de photographe indépendante. Une artiste de talent qui ose abuser des réseaux sociaux pour se faire connaître. Et ça marche
Elle reçoit chez elle, à deux pas de la gare RER en plein cœur de ville. Le lieu est agréable, aménagé d’objets insolites et colorés ramassés au gré de ses découvertes encombrantes et des vides-greniers où elle aime flâner. Toujours à la recherche du coup de cœur qui apportera un petit supplément d’âme à son intérieur chaleureux. Alexandra, maman de Chloé et Maximin, est une Nanterienne comme tant d’autres. Enfin…à une différence près. Elle n’a jamais quitté sa ville natale sauf pour ses études qu’elle a suivi juste de l’autre côté du périph’.
Nanterre, elle y est attachée. « Ici, dans le centre, c’est un village, tout le monde se connaît. Au marché, dans la rue, on s’arrête toujours pour dire bonjour à quelqu’un » explique-t-elle. Elle a grandi dans le quartier du Vieux-Pont. La rue de l'ouest où elle habitait, l’école du centre, le collège Jean-Perrin, c’est là qu’elle forge ses premiers souvenirs. De la fenêtre de sa chambre, elle observe l’immeuble d’en face : Le Bateau. Pour cette petite fille issue de la classe moyenne, la cité emblématique de son quartier est un véritable mystère. Inaccessible. Elle y croise ses habitants, sans jamais oser les aborder. « Pour moi, le Bateau c’était l’aventure… ». Trente ans plus tard, elle décide enfin de franchir le seuil de cette cité. « La peur au ventre », se souvient-elle. Nous sommes en 2010, l’immeuble, voué à disparaître définitivement du paysage nanterrien, est en partie vidé de ses habitants relogés par leur bailleur dans d’autres quartiers de la ville. Comme dans un vaisseau fantôme, accompagnée de Jamel Ghezzal, l’un des habitants de la première heure, elle arpente les longues coursives, les halls et les quelques appartements restés encore ouverts. L’œil dans le viseur de son Nikon. Ces images elle mettra plus de trois ans à les publier sur son blog. Elle ne sait pas vraiment pourquoi.
La photo plutôt que la compta
La photo l’a conquise à l’adolescence, après que son père photographe amateur à la MJC de Colombes, lui offre son premier appareil à 13 ans. Un Canon FTB. Depuis, elle n’a cessé de photographier. L’image, c’est sa vie. D’ailleurs, cela se voit dès que l’on rentre dans son appartement. Des livres il y a en a beaucoup, un amour initié par sa mère. Tous rangés. Soigneusement empilés à même le sol, cinq tomes des All american ads, la collection un brin vintage des publicités américaines des années 10 aux années 90. Élégamment placé sur une étagère, Anticorps, du photographe Antoine d’Agata côtoie un ouvrage de Peter Beard, le photographe collagiste américain. Et sur son bureau, son propre livre dedans, dehors tout juste sorti aux éditions Blurb. Un recueil de ses photos associées à une autre de ses passions le collage. « Fille unique, il fallait que je m’occupe. Je faisais beaucoup de collage avec des images piochées dans Glamour ou 20 ans. La nécessité de m’exprimer par l’image est certainement venue de là», exprime la jeune artiste.
Adolescente elle choisit la photographie, plutôt que la compta à Louis-Michel et passe un CAP au lycée professionnel de la rue Quinault dans le XVe arrondissement de Paris. « Mes parents n’avaient pas beaucoup d’argent, mais je me suis débrouillée. J’ai passé le concours pour cette formation qui était gratuite ». Puis une école de graphisme, Corvisart, pour être sûr d'avoir un métier! Ses diplômes en poche, elle travaillera plus de dix ans comme graphiste, chez Next music puis Nocturne, deux labels indépendants nanterrien.
Social geek
Lorsque son dernier employeur met la clé sous la porte en 2008, elle décide de se lancer dans la photo et le graphisme en free-lance. Armée de son numérique peu discret pourtant, elle réussit à entrer dans les coulisses de grands rendez-vous parisiens comme la Fashion week, la FIAC, les concerts. Ce qu’elle veut, elle l’obtient, mais toujours dans la discrétion. « Je ne paye pas de mine, je réussis à passer par la petite porte sans badge presse et on ne me demande rien » confie-t-elle. Derrière ses cheveux bouclés ramassés en chignon bas, son slim et ses low-boots qui lui donnent un petit air glam rock, Alexandra reste naturellement réservée, à l’opposé du milieu dans lequel elle évolue. « C’est dur, ils ne comprennent pas ma légitimité mais je m’en fiche, je fais mon boulot ». Voleuse d’images? Oui, un peu mais elle met un point d’honneur à faire valider toutes ces photos par les boîtes de production ou attachés de presse avant de les publier sur son blog, sur son site, sa page Facebook, ou son Pinterest . «Grâce au numérique, tout va vite, très vite. J’aime cette instantanéité. Quand je rentre de reportage, je livre mes images dans les deux heures qui suivent. Je veux profiter de leur énergie sur le moment.les réseaux sociaux permettent tout cela d’ailleurs». Désormais reconnue pour son univers un brin décalé des artistes la sollicitent : Nolwenn Leroy, Bastian Baker, NTM, Cerrone, Nadeah… Ce qu’elle aime dans son métier ? Les rencontres, les moments privilégiés, les lieux improbables où elle installe son mini-studio ambulant, la spontanéité…un peu tout.
Christelle Garancher
Retrouvez Adelap sur :
Son site http://www.adelap.com
Son blog http://flanepourvous.blogspot.com
Pinteres http://pinterest.com/adelap10/
1975 : naissance à Nanterre
1991 : 1er stage photo chez Sipa Press, Magnum
1992 : obtention du CAP photographie au lycée professionnel de la photographie Quinault
1994 : obtention du Bac Pro Communication graphique à Corvisart
1995 : 1er job en tant que graphiste chez Musique Info Hebdo
2008 : photographe indépendante
2012 : parution de Dehors/dedans, éditions Blurb
© Dominique Jassin