Signe de crise, je ne vois que cette seule explication, j’ai joué au Loto. Ce n’est pas la première fois, bien entendu, d’ailleurs qui n’y a jamais joué une fois au moins dans sa vie. Rares sont ceux qui peuvent s’en targuer.
Aujourd’hui pourtant, j’ai senti que mon geste n’était pas anodin, que mon acte n’était pas motivé par l’amusement ce qui devrait toujours être le cas lorsque l’on joue. Derrière les petites croix inscrites sur le bulletin, la gravité avait remplacé le sourire. Et si c’était mon jour de chance ? Pourquoi pas après tout.
Je sais très bien que mes chances de gagner le gros lot sont de l’ordre de une, sur un nombre affolant suivi d’une multitude de zéros, mais cette chance existe, non ? C’est aussi parce qu’elle est mince que le lot est gros. Alors je me suis appliqué, j’ai coché mes numéros fétiches, des nombres qui font sens pour moi, comme s’ils avaient plus de valeur ou de raison d’être élus lors du tirage. Je me suis dirigé vers le bureau de tabac et j’ai tendu ma feuille à la buraliste, la machine a enregistré mon jeu et la grosse dame blonde m’a réclamé des sous. Parce qu’il faut payer pour pouvoir gagner de l’argent, éventuellement. Les rêves ont un prix. Et maintenant j’attends.
J’ai pris un air détaché, genre le type qui ne s’en fait pas, bien au-dessus de ces contingences bassement matérielles. Je ne regarderai pas le tirage à la télévision, je retournerai voir la grosse dame blonde. J’essaie de ne pas imaginer ce que représenterait ce choc, si j’apprenais que j’ai gagné le pactole. J’essaie de ne pas faire de projets vains, j’essaie de ne pas bâtir de châteaux en Espagne.
Je m’oblige à ne penser à rien alors que j’entends dans le lointain, gronder le tsunami de la misère qui fond sur notre pays.