Hollande et le changement qu'il fallait voir

Publié le 29 mars 2013 par Juan
Nouvelle intervention présidentielle à la télévision. La précédente datait de novembre. On pouvait d'abord s'interroger sur le sens d'un exercice médiatique trop convenu par avance.
L'intervieweur est donc David Pujadas, l'homme-tronc de France 2.
Sans aller jusqu'à envisager de plonger notre actuel président dans la fosse aux lions des Grandes Gueules de RMC (mon dieu....) ni s'expliquer devant les (gentils) procureurs de Mediapart (quoique!), on aurait pu imaginer plus moderne que de confier les rennes de ces 45 minutes à un suiveur médiatique tel que Pujadas.
Le décor est large, ils sont face à face devant un large écran. Assez vite, la cravate de François Hollande se place de travers.
Volontariste
"Qui sera présent, ce soir, à la télé ? Le Président de la République, représentant tous les Français, y compris les 4 millions de voix mélenchonistes qui ont bien aidé à son élection, ou l'ex premier secrétaire du PS, adepte des arrangements entre amis ?" demande un internaute sur le blog. C'est un peu brutalement résumée la position établie d'une fraction de la gauche.
Ce jeudi, donc, Hollande a confirmé, expliqué, détaillé. Il a effacé son premier ministre. La Vème République reprend ses droits. C'est surprenant... ou prévisible ?
Il y a la forme, donc, toujours surannée et démontée en bonne et due forme sur les réseaux sociaux. Il y a ces questions sans intérêt, et la première sur son caractère. Pujadas veut poursuivre le procès en légitimité que d'aucuns à droite et jusque dans les couloirs du bureau du Parrain entretiennent La gauche sait être déçue. La droite n'accepte jamais de perdre le pouvoir. Sur le site du Figaro, assez vite, on lit cette interrogation: François Hollande est-il à la hauteur de la fonction ?
Sur ce coup, Hollande ignore donc Pujadas, un joli vent. Il enchaîne sur la crise, nulle surprise. "Quand je me suis présenté à l'élection, je connaissais la situation, je connaissais la crise qui frappait l'Europe. Comment l'aurais-je sous-estimée ? En revanche nous n'avions pas anticipé que cette crise allait durer plus longtemps que prévu."
On a voulu faire cracher à Hollande que le chômage allait encore longuement progresser. La belle affaire ! C'était la question "Madame Irma". Le président rappelle donc l'engagement, inverser la courbe du chômage. Point. Lutter contre le chômage et la précarité, c'est la seule chose qui importe. Les termes se bousculent. Compétitivité, entreprises, création, emploi, et, last but not least, pouvoir d'achat: "Encadrer les loyers, faire baisser le prix du gaz, lutter contre les frais bancaires (loi bancaire), c'est du pouvoir d'achat"
Pujadas a oublié d'évoquer ce qui a été fait. Hollande l'a corrigé dès le début de l'intervention: "les outils sont là, il faut les activer". Il évoque les 150.000 emplois d'avenir pour les jeunes qu'il faut créer maintenant que la loi est votée. Les contrats de génération, également en place.
La stratégie est résumée en un slogan de soirée: "Deux ans pour redresser, trois ans pour nous dépasser."
Il promet une pause fiscale pour 2013 et 2014 ("il n'y aura aucune autre augmentation d'impôts"), et zappe le rappel détaillé des hausses d'impôts précédentes: majoration de la décote de l'IR pour 7 millions de foyers; rétablissement de l'ISF; , abrogation de la TVA sociale, taxation renforcée du capital, de ses revenus; augmentation de l'allocation de rentrée scolaire, augmentation de l'Impot sur les sociétés, etc. Notre confrère Melclalex s'est prêté au jeu préalable de ce rappel. A force de critiquer ce qui n'est pas fait (relance européenne, renégociation de TSCG, séparation bancaire) ou mal fait (Roms), on oublie le reste. Sitôt la prestation terminée, les ténors d'une droite décapitée couinent n'importe quoi.
Technique
L'entretien fut technique. La réalité n'est pas la caricature simple qu'on nous présentait en Sarkofrance.
Hollande, plus assuré que son prédécesseur, a lâché quelques arbitrages:
1. Les allocations familiales ne seront pas fiscalisées (on évite les effets de seuil), mais soumises à condition de ressources. On applaudit.
2. La participation des 4 millions de Français qui en bénéficient pourra être débloquée à hauteur de 20.000 euros pendant 6 mois chaque année. Une mesurette de relance par la mobilisation de l'épargne... Sarkozy nous avait fait le coup.
3. La jolie surprise, le hochet pour éditocrates désoeuvrés, ce fut la nouvelle mouture de la taxe à 75%: si une entreprise veut payer aussi cher l'un de ses cadres ou dirigeants, elle devra acquitter le complément, un vrai prélèvement à la source pour riches"Quand la rémunération des chefs d'entreprise dépasse 1 million d'euros, l'entreprise prendra en charge la taxe de 75 %." Une mesure qui fait coup double puisqu'elle encourage le plafonnement des grosses rémunérations.

4. La réforme des retraites épargnera les petites retraites. Hollande vise un allongement de la durée de cotisations, et une hausse des cotisations.
5. Le budget de la Défense, déjà détruit sous Sarkozy, sera stabilisé en 2014.
6. Hollande promet un "choc de simplification", et se réfugie derrière un exemple: 3.000 informations qu'une PME doit envoyer  chaque année aux administrations, un chiffre désarmant qu'il veut réduire par trois. La simplification est une astuce de communication, une nécessité pour les PME, une urgence pour les services publics - comme pour l'accès aux minima sociaux.
7. Il rappelle le groupement des achats des administrations (2 milliards d'économies), mais d'économies austéritaires et massives, il n'en est pas question. Quelques éditocrates
8. La transmission des petites entreprises sera facilitée.
Surprenant
Passée cette longue première partie, Hollande évacue rapidement l'écume et le buzz. Pujadas n'a plus le temps.
Il y eut la question "Cahuzac et les affaires", elle est venue tard et fut expédiée rapidement ("Chaque fois qu'un membre du gouvernement est dans une procédure judiciaire, il n'est plus membre du gouvernement"). Un commentateur immédiat, sur France Info, regrettait presque que l'économie et le social aient occupé 45 minutes des 70 minutes de l'émissions. Hollande faillit nous décevoir en rappelant que Nicolas Sarkozy aussi était présumé innocent ("Les juges doivent être respectés pour leur indépendance"). D'ailleurs, l'ancien monarque avait finalement suspendu son recours.
Il y eut la question #Mariagepourtous: c'est au Parlement de voter les lois. Les petits fachos et autres cathos désemparés étaient déçus. Concernant la PMA, Hollande demande au Comité national d'Ethique. Pour la GPA, il refuse: "La GPA restera interdite en France tant que je serai président de la République."
Il y eut la question Mali. Le calendrier est annoncé: la France exige des élections locales d'ici juillet.
De l'intervention, une évidence s'imposait sur la trajectoire qui se dessine. C'est une vraie révélation, un aveu qui n'en était pas un. Puisqu'il n'y aura ni fiscalisation supplémentaire cette année et l'an prochain, ni réforme structurelle qui taillerait dans les coûts à coup de hache, l'évidence s'impose: c'est la pause dans la réduction des déficits.  La réduction du déficit budgétaire à 3% du PIB n'est pas pour cette année, ni même pour l'année prochaine. D'aucuns à gauche espéraient cette confirmation comme la preuve d'un soulagement budgétaire. On espère qu'ils ne seront pas déçus. On attend presque qu'ils applaudissent.
Cette stratégie - "redressement/protection" - s'affrontera à celle de Merkel en Europe: "Je ne veux pas que l'Europe soit une maison de redressement".. C'est une autre trajectoire européenne qui se dessine, ou bien ? Hollande prévient: "être dans l'austérité, c'est condamner l'Europe à l'explosion". "Aujourd'hui, prolonger l'austérité, c'est le risque de ne pas aboutir à réduire les déficits et la certitude d'avoir des gouvernements impopulaires dont les populistes feront une bouchée le moment venu".
Il est 21 heures et bientôt trente minutes. L'entretien s'arrête.
En 70 minutes, Hollande n'a désigné aucun bouc-émissaire, pas même le bilan de l'Autre.  
"Je ne veux pas d'une République de l'excès et de la violence. La République doit être exemplaire et apaisée."

Apaisée, oui.
Y a du boulot.
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