Article révélant la fin du film
Il y a quelques jours, je profitais de ma critique de Cloud Atlas pour vanter les mérites et les qualités d’une des œuvres cinématographiques les plus impressionnantes de ces dernières années. Une œuvre d’ailleurs tellement riche et exigeante qu’il est assez difficile de véritablement l’apprécier à sa juste valeur lors du premier visionnage. C’est pourquoi j’ai eu l’envie aujourd’hui de revenir sur le film et de lui consacrer un article entier. Un article qui aurait pour but de poser les bases de l’histoire et de donner quelques clés d’interprétation de façon à ce que tous ceux qui le désirent puissent le revoir avec un autre regard. Chacun étant libre en finalité d’interpréter le film comme il le souhaite, même si le message qui s’en dégage en définitive est plutôt clair. Bien sûr, pour ceux qui voudraient absolument tout comprendre, l’idéal est encore de lire le roman duquel est adapté le film car cet article ne répondra volontairement pas à toutes les questions.
Pour rappel, Cloud Atlas est l’adaptation cinématographique du roman éponyme de David Mitchell, réalisé par Lana et Andy Wachowski ainsi que Tom Tykwer. L’histoire du film est relativement dense puisque celle-ci est composée de 6 récits s’étendant sur 5 siècles et se situant dans plusieurs espaces-temps. Dans ces différents récits, des êtres se croisent et se retrouvent d’une vie à l’autre, naissant et renaissant successivement. Tandis que leurs décisions ont des conséquences sur leur parcours, dans le passé, le présent et l’avenir lointain, un tueur devient un héros et un seul acte de générosité suffit à entraîner des répercussions pendant plusieurs siècles et à provoquer une révolution. Tout, absolument tout, est lié.
Pour bien comprendre les nombreuses intrigues du film, je pense tout d’abord qu’il est indispensable de parfaitement distinguer les différentes époques de l’histoire ainsi que les personnages importants s’y rapportant. Ce n’est certainement pas le point le plus compliqué mais l’enchevêtrement des récits peut facilement prêter à confusion au début. Une petite précision chronologique semble donc nécessaire pour ne rien perdre des événements et de leur dénouement. Et ainsi pouvoir apprécier le film dès ses premières minutes sans avoir à cogiter pendant des lustres sur le lieu de l’action et l’identité des protagonistes.
Le premier récit prend place en 1849 dans les îles Chatham et a pour personnage principal Adam Ewing (Jim Sturgess), un jeune et naïf notaire traversant le Pacifique vers San Francisco. Au cours de son voyage, il fait la connaissance d’Autua (David Gyasi), un esclave à qui il va venir en aide en lui obtenant un poste de matelot sur le voilier qu’il occupe. Un acte bienveillant qui lui sauvera la vie puisque ce même esclave lui viendra à son tour en aide en empêchant la tentative d’empoisonnement du docteur Henry Goose (Tom Hanks) dont il sera victime. Marqué par cet épisode, Adam décidera alors à son arrivée à San Francisco d’abandonner les affaires de son beau-père Haskell Moore (Hugo Weaving), impliqué dans l’esclavage, et de partir rejoindre les abolitionnistes avec sa femme Tilda (Doona Bae).
Le second récit se déroule en 1931 en Belgique et a pour héros Robert Frobisher (Ben Whishaw), un jeune musicien anglais homosexuel qui se rend au château de Zedelghem pour proposer ses services à Vyvyan Ayrs (Jim Broadbent), un vieux compositeur invalide. Durant cette période, il compose de son côté « The Cloud Atlas Sextet » qui lui vaudra une vive altercation avec son mentor. En effet, quand celui-ci découvre sa composition, il tente de s’en attribuer tout le mérite et menace Robert de révéler ses penchants sexuels afin de nuire à sa réputation. Robert tire alors sur le compositeur et part se réfugier à l’hôtel le plus proche. Là-bas, il finit son morceau et se suicide d’une balle dans la tête quelques secondes avant l’arrivée de son ami, et amant, Rufus Sixsmith (James d’Arcy).
Le troisième récit nous emmène à Buenas Yerbas, en Californie, durant les années 70 et se concentre sur Luisa Rey (Halle Berry), une journaliste d’investigation qui enquête sur l’existence d’un rapport défavorable à la construction d’une centrale nucléaire. Après une fête, elle rencontre par hasard Rufus Sixsmith (l’amant de Frobisher dans le récit précédent), un scientifique âgé qui travaille justement pour la centrale nucléaire mise en cause. Mais avant d’avoir pu aider Luisa, Sixsmith est assassiné dans sa chambre d’hôtel et laisse derrière lui toutes les lettres issues de sa correspondance avec Frobisher. Plus tard, lors d’une visite anodine de la centrale, Luisa fait la connaissance d’Isaac Sachs (Tom Hanks) et Joe Napier (Keith David), deux employés de la compagnie qui vont lui fournir les éléments nécessaires pour tenter de mettre en lumière toute la vérité. Ce qu’elle fera après avoir échappé au tueur Bill Smoke (Hugo Weaving).
Le quatrième récit revient en Europe, plus précisément en Grande-Bretagne, et se déroule de nos jours. Le personnage principal est Timothy Cavendish (Jim Broadbent), un vieil éditeur qui, après avoir fui les frères de son gangster de client, est interné dans une maison de retraite à la suite d’une mauvaise blague de son propre frère. Martyrisé par l’effroyable infirmière Noakes (Hugo Weaving), il décide avec quelques autres pensionnaires de monter un plan d’évasion.
Le cinquième récit se déroule en 2144 en Corée, dans un futur dystopique, et a pour héroïne Sonmi-451 (Doona Bae), un clone « Fractaire » s’entretenant avec un Archiviste (James d’Arcy) juste avant son exécution. Durant cet échange, on découvre son quotidien de serveuse au fast-food Papa Song’s et ce qui l’a amené, avec l’aide d’Hae-Joo Chang (Jim Sturgess), à briser ses chaînes psychologiques pour devenir le symbole de la rébellion. L’élément déclencheur étant assurément la découverte du destin funeste réservé à ses semblables. Une découverte qui l’amènera à se sacrifier pour le bien de tous.
Enfin, le sixième et dernier récit prend place en 2321, dans un futur post-apocalyptique, et a pour personnage principal Zachry (Tom Hanks), un membre d’une tribu primitive qui voit arriver sur son île une femme issue d’une civilisation avancée en la personne de Méronyme (Halle Berry). D’abord récitent à l’idée de cohabiter avec elle, Zachry va finalement la guider au sommet de la montagne, vers une station de communication, pour y découvrir un message de Sonmi, la divinité que la tribu de Zachry vénère. A leur retour, ils trouvent le campement ravagé et tous ses membres massacrés par les Kona, une tribu hostile, à l’exception de sa nièce. Il les vengera avant de s’enfuir pour un nouveau monde avec Méronyme. Plus tard, il racontera son histoire à ses petits enfants.
A première vue, ces 6 époques sont donc totalement distinctes l’une de l’autre et les différents personnages ne semblent pas avoir le moindre lien entre eux. Et pourtant, plusieurs éléments les unissent parmi lesquels notamment une tache de naissance en forme de comète que tous les héros portent à différents endroits de leur corps. A la poitrine pour Adam Ewing, dans le bas du dos pour Robert Frobisher, à la clavicule pour Luisa Rey, à la cuisse pour Timothy Cavendish, dans le cou pour Sonmi-451 et enfin à l’arrière de la tête pour Zachry. Ce symbole, et le fait que tous les personnages principaux de chaque récit le portent, n’est évidemment pas sans signification, j’y reviendrai un peu plus tard.
Ensuite, un autre élément fait également la jonction entre les différentes époques, il s’agit du matériau qui informe chaque personnage du parcours de son prédécesseur. Ainsi, le journal de bord écrit par Adam Ewing dans le premier récit est trouvé et lu dans le second récit par Robert Frobisher, dont la correspondance épistolaire avec Rufus Sixsmith est à son tour lue dans le troisième récit par la journaliste Luisa Rey. L’enquête de cette journaliste arrive dans le quatrième récit sous forme de manuscrit dans les mains de l’éditeur Timothy Cavendish, dont les aventures sont découvertes dans le cinquième récit via un film par Sonmi-451, dont le message holographique enfin parvient dans l’ultime récit au sauvage Zachry. Un personnage qui, si on veut aller encore plus loin, transmet lui aussi son aventure aux générations futures par le biais d’une histoire.
Et les liens entre les personnages ne s’arrêtent pas là puisque leur parcours est aussi relativement similaire. En effet, chaque protagoniste est animé par un sentiment de révolte qui le pousse à s’engager dans une une lutte universelle du bien contre le mal.
- Ainsi, en 1849, Adam Ewing se bat contre l’esclavage qui ronge la société. D’abord en venant en aide à l’esclave Autua qu’il rencontre lors de sa traversée du Pacifique. Et ensuite lorsqu’il décide, une fois revenu à San Francisco, de quitter les affaires familiales de son beau-père Haskell Moore (Hugo Weaving) pour rejoindre les abolitionnistes.
- En 1931, Robert Frobisher combat le fascisme qui transparaît au travers du personnage de Tadeusz Kesselring (Hugo Weaving), le confrère de Vyvyan Ayrs qui passe à Zedelghem écouter ses nouvelles compositions et qui se montre intolérant envers tout ce qui sort un tant soit peu de la normalité. Frobisher ayant une sexualité différente de la plupart des gens, il se trouve rapidement impliqué au cœur de cette lutte.
- En 1975, la journaliste Luisa Rey lutte contre le capitalisme symbolisé par la compagnie nucléaire qui tente d’augmenter radicalement son pouvoir et ses bénéfices en passant sous silence certaines informations capitales et en faisant disparaître toutes les personnes voulant rétablir la vérité (Rufus Sixsmith, Isaac Sachs…). Le mal est ici caractérisé par le tueur Bill Smoke (Hugo Weaving) dont Luisa doit se défaire pour pouvoir dévoiler le complot au grand jour.
- Par la suite, en 2012, le mal dont souffre Timothy Cavendish n’est autre que la privation de libertés que représente la maison de retraite. D’abord content de la rejoindre pour échapper à la réalité, il lutte ensuite contre l’infirmière Noakes (Hugo Weaving) pour retrouver sa liberté.
- Plus tard, en 2144, dans un univers dystopique où tout n’est qu’illusion et asservissement, Sonmi-451 lutte pour pouvoir être considérée comme les autres et disposer des mêmes droits que quiconque. Avec l’aide d’Hae-Joo Chang, elle s’oppose au système bureaucratique incarné par l’abominable Boardman Mephi (Hugo Weaving) et devient le symbole de la rébellion afin que tout le monde sache le sort funeste qui est secrètement réservé à ses semblables.
- Enfin, en 2321, dans un futur post-apocalyptique, Zachry ne se bat pas contre un mal, ou pour un idéal, mais mène une lutte intérieure caractérisée par la manifestation du Vieux Georgie (Hugo Weaving), une sorte de conscience maléfique qui symbolise toutes ses faiblesses d’homme en cherchant à les exploiter. Son combat est donc tout autant une lutte pour la liberté qu’une lutte pour la rédemption. Heureusement, il peut compter sur le soutien de Méronyme pour en venir à bout.
Enfin, le dernier élément important qui lie les récits et les personnages entre eux n’est autre que le thème de la réincarnation qui fait partie intégrante du film. C’est un point qui n’était pas franchement appuyé dans le bouquin mais le fait de proposer aux acteurs plusieurs rôles différents ne laissent aucun doute sur la volonté des réalisateurs de mettre en lumière ce message. Et force est de constater que c’est plutôt une bonne idée pour insister sur l’évolution des personnages au fil des âges. A commencer par les héros de chaque récit qui disposent tous d’une tache de naissance identique. Mais quelle est la signification de cette tache? Étant donné que deux personnages contemporains (Luisa Rey et Timothy Cavendish) peuvent posséder simultanément cette marque, il ne s’agit pas vraiment du signe de la réincarnation d’une âme mais plutôt de l’esprit de révolte qui les anime. Effectivement, par le biais des différentes luttes évoquées précédemment, chacun des héros tente de rendre le monde meilleur.
Mais c’est davantage en se concentrant sur le destin réservé aux différents personnages joués par un même acteur que la notion de réincarnation s’impose véritablement. En effet, on peut par exemple constater que certaines âmes restent pratiquement inchangées tout au long de l’histoire. C’est le cas notamment des personnages joués par Jim Sturgess et Doona Bae qui sont amoureux en 1849 sous les traits d’Adam Ewing et Tilda, et qui se retrouvent en 2144 sous les traits d’Hae-Joo Chang et Sonmi-451. Ou encore des nombreux personnages joués par Hugo Weaving qui constituent, quelle que soit l’époque, des personnages hostiles au héros. Alors que d’autres évoluent en fonction des récits. C’est le cas des personnages interprétés par Tom Hanks qui s’améliorent avec les années, allant de l’infâme Henry Goose en 1849 au bienveillant Zachry en 2321, en passant par le brave Isaac Sachs en 1975. Ou encore aux personnages de Hugh Grant qui suivent la courbe inverse puisqu’ils sont plutôt bons au départ et carrément mauvais à la fin. Si cet aspect du film vous intéresse, je vous invite à consulter la chouette infographie (attention aux erreurs de date et de lieu des récits 2 et 3), réalisée par le site Cineblend.com, qui décrit la trajectoire des différents personnages tout au long de l’histoire.
En définitive, vous l’aurez compris, malgré des récits et des personnages qui peuvent sembler tout à fait distincts au départ, les deux sont vraiment liés et ce n’est qu’en les considérant comme formant un tout que l’histoire de Cloud Atlas prend véritablement tout son sens. C’est d’ailleurs certainement pour cette raison que les réalisateurs ont fait le choix d’enchevêtrer les récits et les personnages plutôt que de traiter chaque époque séparément. Car qu’on se le dise, tout est lié ! Alors bien sûr, la narration est pour le moins exigeante, et le montage est extrêmement ambitieux, mais pour quiconque décide de s’investir un minimum dans l’histoire, ce film offre une expérience de visionnage absolument unique en son genre. Le genre d’expérience qu’on ne vit pas toutes les semaines au cinéma. Et rien que pour cela, il mérite largement d’être vu selon moi, de préférence en salle.
J’espère en tout cas que cet article vous aura permis de mieux percevoir les différentes époques de l’histoire ainsi que les différents enjeux liés aux personnages, et vous aura également donné envie, pourquoi pas, de revoir le film avec un autre regard. Je le recommande en tout cas vivement car il s’agit d’un récit tellement riche que plusieurs visionnages sont vraiment nécessaires pour pouvoir apprécier le film comme il se doit. D’autant plus que, je le rappelle, cet article vise surtout à distinguer précisément les différents récits et personnages qui agrémentent le film, ainsi qu’à donner quelques clés d’interprétation pour que chacun puisse rapidement rentrer dans l’histoire. Je ne réponds donc volontairement pas à toutes les questions et beaucoup d’autres mystères sont encore à découvrir