Il a encore neigé ce matin, vous l’croyez-vous ? De la neige un 27 mars ! Le monde ne tourne pas rond depuis quelque temps. Bon, c’est surtout dans ma tête. Guixxx (feu triple xxx) n’a pas la grande forme. Des migraines incessantes (ce qui est nouveau) certainement dû à un manque de repos (ça c’est de ne pas avoir eu de vacances depuis 9 mois, en particulier après Noël), peut-être aussi au froid et à la grisaille parisienne, aux bruits incessants des travaux, des klaxons, des voitures, des passants, des abru… enfin des habitants. Ce qui donne une Guixxx qui traine des pieds, râleuse, cernée de fatigue, blasée, qui aimerait passer son temps à dormir comme une marmotte plutôt que d’aller bosser la journée (chose de moins en moins amusante ces temps-ci).
Je regarde le félidé royalement avachi sur son fauteuil favori (un fauteuil molletonné gris Monopri* particulièrement agréable), la moustache frétillante de beaux rêves (concernant certainement des croquettes au canard et un robinet d’eau fraîche coulant sans discontinuer), capable de rester des heures sans même s’étirer l’échine, et je me dis que j’aimerai être à sa place, plutôt que d’aller ouvrir des cartons, remplir des tiroirs-caisse et composer avec des commandes clients en retard.
La Guixxx traîne tellement des pieds qu’elle n’a pas terminé un seul roman en un mois. J’en ai pourtant commencé au moins vingt, lu de chacun entre 10 et 350 pages, mais suis incapable de les terminer. Fini le temps où je pouvais empiéter sur mon sommeil trois heures d’affilées pour lire un roman dans son entièreté. Fini le temps où je pouvais lire six heures chaque jours sans me lasser. Mais rassure-vous, d’une part la Guixxx se prend un bain de soleil de trois semaines en juin, une virée dans le sud histoire de ne pas dépérir et de retrouver un semblant de liberté. Puis la Guixxx a aussi entrepris un projet important avec un ami barbu qui a lui aussi très envie de monter sa boîte. Ce projet me remet un peu d’aplomb, me donne un but, un espoir, et me donne envie de me reprendre en main. Le mettre en place n’est pas une sinécure mais le jeu en vaut la chandelle. L’idée de mettre en œuvre une librairie qui me ressemble, dans laquelle je me sentirais à l’aise, c’est stimulant. Et vous pourriez y retrouver les livres que je chronique ici, mes lectures, mes coups de cœur, partager et débattre ensemble sur eux. Un lieu d’animation, d'évènements, de plaisir et de détente. C’est comme ça que j'ai toujours envisagé une librairie, et c’est ce que j’espère arriver à créer. En attendant, je remets en ordre mes idées, reprend mes lectures, m’impose une meilleure discipline. Alors n’ayant pas terminé un seul roman depuis Le dernier loup-garou dont je vous ai parlé précédemment, je fais une séance de rattrapage sur un roman que j’ai lu au mois de janvier et qui m’a particulièrement touché. J’ai d’ailleurs eu la chance de rencontrer l’auteur peu avant sa parution avec quelques autres libraires, et l’entendre parler de son roman était assez extraordinaire. C’était à côté d’Odéon au Loulou’s Diner, un matin très frais de février. La Cosmopolite (collection de littérature étrangère génialissime des éditions Stock) avait fait venir Kevin Powers des Etats-Unis pour faire la promotion de Yellow birds, son premier roman.Nous étions une dizaine de libraires, assis sur des banquettes en cuir, encore un peu ensommeillés et impressionnés par la petite salle privée qui nous avait été attribuée. Une moquette rouge profonde, un piano imposant et des photos de vieilles célébrités en noir et blanc le décor était juste à couper le souffle. C’était intimiste, confortable et classe. Un endroit superbe pour accueillir cet auteur américain qui n’en méritait pas moins. Interviewé par l’éditrice, il nous a raconté la genèse de son livre, son histoire, son parcours d’écrivain. Il nous a raconté comment et pourquoi il s’est engagé dans l’armée quand il avait dix-huit ans (c’est plus ou moins ce que font tous les petits gars de Virginie profonde qui s’ennuient, histoire de voyager et de devenir un homme), comment il s’est retrouvé envoyé en Irak, et quelle a été la difficulté à son retour de raconter ce qu’il s’y était passé à ses proches. Versé depuis l’enfance dans l’écriture, poète à ses heures, puis titulaire d’un diplôme universitaire en littérature, il s’est dit qu’un roman serait le meilleur moyen de conter la guerre en Irak. Voilà comment naquit Yellow birds.
Yellow birds raconte l’histoire de Bartle et Murph. Bartle s’est engagé dans l’armée un peu par défaut. Il a rencontré Murph à l’entraînement. C’était un bleu de 18 ans, encore un adolescent. Bartle, lui, en avait à peine 21. Avant leur départ en Irak, Bartle fait la promesse inconsidérée de veiller sur Murph et de le ramener vivant. Or deux ans plus tard, il reviendra seul au pays natal… Des romans de guerre, on en a vu et lu des pelletés. Mais peu de cette trempe-là. Je vous ai dit que Kevin Powers était diplômé en littérature, boursier en poésie, et forcément cette aisance littéraire se sent dans son récit et donne un souffle particulier au roman. La plume de Powers vibre d’émotions. Il a choisi de raconter l’histoire de Bartle et Murph (et de leur guerre) en deux temps. Le récit alterne en les pensées de Bartle après son retour d’Irak, durant son trajet de retour au pays et son arrivée en Virginie où il retrouve sa mère et la région de son enfance, et ses deux années passées dans l’armée depuis sa rencontre avec Murphy jusqu’à sa démobilisation. Plus l’histoire avance dans chacun des deux temps, plus une certaine tension s’installe, l’appréhension d’un évènement plus terrible encore que celui qu’on apprend dès le début du roman : la mort de Murph sur le terrain. Et effectivement, l’histoire de Bartle et Murph aurait pu être un banal récit d’amitié, de camaraderie entre soldats, mais c’est bien plus que cela. Il y a d’une part cette amitié, qui voit le jour de façon inattendue, Bartle et Murph sont liés par la force des choses. Si il n’y avait pas eu de guerre ils n’auraient pas eu à se rencontrer et s’ils étaient tout de même venu à se rencontrer, jamais ils n’auraient été de véritables amis. Cette amitié est encore renforcée bien malgré Bartle par cette promesse maladroite et involontaire qu’il fait à la mère de Murph : ramener son fils entier. Une amitié qui va être pour Bartle une bouée de sauvetage, l’aidant ainsi à garder un certain équilibre mental sur le terrain, mais aussi une pression supplémentaire qui va le détruire lorsque Murph va trouver la mort. Et d’autre part il y a cette guerre, voulue par des hommes et faite par des adolescents. Kevin Powers était en Irak lorsqu’il avait entre 23 et 24 ans. Dans son roman, Bartle et Murph ont 21 et 18 ans. Et leur lieutenant, un personnage charismatique, effrayant, qui les impressionne et qu’ils détestent et vénèrent à la fois, n’en à que 24. Aucun d’entre eux ne semble savoir pourquoi ils se battent. Bien sûr ils connaissent les enjeux de la guerre, savent pourquoi elle a commencé… du moins pensent-ils le savoir. Il se sont engagés pour protéger leur pays, faire régner la justice. Mais sur le terrain, ils ne font qu’exécuter des ordres, se lancent dans des batailles à corps perdu, véritables boucheries insensées où soldats et civils perdent la vie et où personne ne se pose de questions. Ils avancent mètres par mètres sous un soleil de plomb, tirant à vue, sans jamais savoir qui est l’ennemi, félicités par la hiérarchie pour chaque cible qu’ils abattent, qu’importe son implication dans cette guerre, le plus important est d’avancer et de garder la tête froide. Bartle et Murph luttent ensemble, appuient sur la gâchette, restent soudés, jusqu’à ce que Murph commence à dériver. Puis Murph est mort. Et Bartle revient seul. Hanté, désœuvré, désespéré, complètement perdu. On appelle ça le stress post-traumatique (SSPT). Jusqu’à la fin de son récit, jusqu’à la mort de Murph, on pense savoir très bien comment va s’orienter le roman. Une histoire de traumatisme du vétéran banal, on en a lu des tas sur les vétérans du Vietnam (qui leurs ressemblent pas mal… quand les USA apprendront-ils ?), mais en plus de conter sa propre expérience, ses émotions, son vécu, Kevin Powers écrit une fiction, et le twist final de l’œuvre, la mort de Murphy, à laquelle le lecteur pensait être préparé, est un coup de poing. J’ai été vraiment percutée par ce roman. Kevin Powers nous fait ressentir la violence, la futilité de cette guerre, et l’effet dévastateur qu’elle a eu sur les soldats qui l’ont faite. Alors non ce n’est pas nouveau, récemment de plus en plus de romans, films, livres, articles, dénoncent les dérives de la guerre en Irak, et le sentiment des américains qui ont vite fini par se rendre compte de l’erreur qu’ils avaient fait. Il y a eu les films comme Platoon ou Full Metal Jacket qui ont donné (malgré eux) à la génération de Kévin Powers l’envie de s’engager et de devenir des héros. D’ailleurs, une petite mention « Dévastateur » signée de Damian Lewis (acteur de la série à succès Homeland) à été incrustée sur la quatrième de couverture du livre… hm, bref. Mais celui-là, du fait du talent de l’auteur, de son écriture sobre mais saisissante, est un roman que je conseille à tout le monde de lire, pour ses qualités littéraires et son histoire troublante, cauchemardesque, et extrêmement touchante… Rien que d’écrire cet article, ça me replonge dans ses mots, et je repense aux sensations qu’il m’a fait ressentir, malaise, peur, tristesse, choc, stupeur, et une terrible boule dans le ventre en le refermant et en me disant « fioute, ça c’était puissant ». Prévoyez après un peu de légèreté, des bonbons Haribo et un épisode de Community, ça requinque un peu, et puis pensez à le conseiller autour de vous, on a besoin de roman comme celui-ci. (Parce que j'écoute un petit Creedence...)