Qui suis-je pour avoir pu penser que j'étais guérie ? Quel genre de fille je suis ?
Je suis le genre de fille qui se promène avec une enclume de quatre tonnes sur la poitrine, à longueur de journée. Je suis le genre de fille qui prend des bains à toute heure juste pour le plaisir de se mettre la tête sous l'eau, et d'avoir le choix de remonter ou non. Je suis le genre de fille qui peut chuter de dix étages en deux secondes, et qui ne hurlera même pas à l'aide. Je suis le genre de fille qui a eu longtemps mal en silence, et qui commence doucement à péter un câble. Je suis le genre de fille qui pourrait aller très bien, sauf que les choses ont fait qu'à l'intérieur, ça s'entasse. Je suis le genre de fille de l'arrière-plan, pas très importante. Je suis le genre de fille qui aimerait dormir nuit et jour, ne plus jamais se réveiller, et qui paradoxalement n'arrive que rarement à trouver le sommeil. Je suis le genre de fille qui n'a aucune ambition, et qui ne voit rien en pensant à son avenir. Je suis ce genre de fille, qui craint un max.
C'est comme un monstre, à l'intérieur. Un monstre qu'on croit parfois parti ailleurs. On se dit que la surface est belle, et on oublie ce qu'il y a dessous. Et la réalité nous rattrape très rapidement : il ne fait que dormir. C'est "notre" monstre, il n'a aucune foutue raison de s'en aller. A la première perche qu'on lui tend, il se réveille, s'étire. On l'a dans la peau.
C'est un éternel recommencement. Il reviendra toujours, tant que je n'aurais pas la force de lui péter la gueule. Sauf que ma force, son rôle, c'est de me la prendre. C'est un cercle vicieux, très exactement.
Je ne sais pas comment l'expliquer, parce que ça commence à dépasser les mots. Je suis fatiguée. Pas physiquement, oh ça non, vous pensez bien, je ne fous rien de ma vie. Je suis fatiguée moralement. J'allais mal avant Benoît. J'allais mal pendant Benoît. J'allais mal après Benoît, même si j'essayais de faire croire le contraire. J'ai toujours été mal, et il n'y a aucun responsable à ça.
Ce n'est pas lui. Ce n'est pas mon père. Ce ne sont pas ces gens que j'ai aimé, et qui sont partis. C'est moi, rien que moi. Moi qui ai laissé grandir cette merde à l'intérieur et qui me retrouve à patauger, à ne pas savoir comment m'en débarasser.
Fatiguée. Dans le sens où je n'ai plus vraiment la force. J'en viens à me dire parfois que vivre ce n'est pas trop fait pour moi. Que j'ai pas été moulée pour ça, qu'il y a eu une couille quelque part.