De tous les vertébrés, les amphibiens constituent le groupe animal avec le plus fort pourcentage d’espèces menacées dans le monde entier. C’est ce que révèle le tome II de « L’atlas de la biodiversité de l’Afrique de l’Ouest ». Selon le Pr Adjima Thiombiano, qui a participé à la réalisation de cet ouvrage, la perte de leur habitat naturel est la principale raison de cette régression. Les espèces d’amphibiens, c’est-à-dire les anoures (grenouilles, crapauds etc.), les cécilies et les urodèles (salamandres, tritons), descendantes des premiers vertébrés qui ont marché sur la terre, sont de très bons indicateurs d’un environnement sain. Près de 200 espèces de 12 familles ont été répertoriées en Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui, ces espèces sont menacées de disparition, à cause de l’exploitation abusive des ressources naturelles. De nombreuses forêts sont rasées ou transformées en plantations.
L’exploitation forestière sélective à elle seule, peut modifier complètement la composition de la faune amphibienne. Le Pr Adjima Thiombiano de l’Université de Ouagadougou explique que les amphibiens sont en mesure de signaler une détérioration environnementale avec une certaine anticipation par rapport à d’autres groupes d’organismes et même d’avertir sur l’imminence de sérieuses menaces pour l’homme. La survie des amphibiens est fortement liée à l’existence de leur habitat qui est l’eau. « Aujourd’hui, il existe des problèmes énormes au niveau de la disponibilité et de la qualité de l’eau. C’est pourquoi on n’hésite pas à les utiliser comme des indicateurs de la santé de l’écosystème », souligne le Pr Thiombiano. Par exemple, lorsque les mares de savane se dessèchent, les poissons ne peuvent donc pas survivre et ce sont les têtards qui, en consommant une grande quantité d’algues, assurent le bon entretien de la qualité de l’eau pour les animaux et pour l’homme. Les têtards prédateurs réduisent également le nombre de larves de moustiques sur ces eaux et peuvent donc enrayer la propagation de certaines maladies transmises par les moustiques, comme la malaria. Au Burkina Faso notamment dans le Ganzourgo (Mogtédo , Zorgho) ou le Zondoma (Gourcy) et le Bam (Kongoussi) où la consommation des amphibiens (grenouilles et crapauds) est très accrue, on observe dans le même temps, une forte augmentation des cas de paludisme.
Les amphibiens importants pour le maintien de l’équilibre écologique
Les scientifiques font une corrélation entre la quantité d’amphibiens consommée et l’augmentation de ces cas de paludisme. « Ce que les populations oublient est que les amphibiens se nourrissent essentiellement de moustiques. Si le nombre des amphibiens diminue, cela entraîne la prolifération des moustiques et donc, l’augmentation des cas de paludisme avec son lot de conséquences sociales, économiques et écologiques », affirme-t-il. Par le passé, en Afrique de l’Ouest, les amphibiens étaient attrapés à l’intérieur et aux alentours de certains villages pour la consommation. Très souvent, le seul critère de sélection était la taille, et les espèces les plus grosses étaient donc préférées. Comme exemple, dans la province du Gourma aujourd’hui, les grenouilles sont capturées par la population, seulement pour leur propre consommation. Les crapauds et les têtards sont également collectés, préparés et vendus dans différents marchés locaux. Le Pr Adjima Thiombiano prévient que si les amphibiens venaient à disparaître, c’est l’équilibre même de l’écosystème qui serait en jeu. « Quand on parle d’écosystème, tous les êtres se tiennent à travers un équilibre et lorsque de par une action donnée, un être se soustrait ou s’ajoute, il y a un déséquilibre. Et qui parle de déséquilibre, parle de disparition à court, moyen ou long terme de l’écosystème », souligne-t-il. En plus de leur usage dans l’alimentation, les grenouilles, de l’avis du Pr Thiombiano, sont également utilisées à des fins médicales dans les zones sous-équipées en infrastructures médicales par les populations. Malgré, la menace de disparition des amphibiens, le Pr Thiombiano est convaincu que la conservation des habitats importants dans les zones cruciales, c’est-à-dire là où vivent un grand nombre d’espèces endémiques, le sort des amphibiens et des services qu’ils apportent à la nature et à l’homme, pourraient perdurer pour les prochaines générations.
Raphaël KAFANDO