A qui profite le retour des grands prédateurs ?

Par Baudouindementen @BuvetteAlpages
Exercice de style, par Bernard Pesle-Couserend
Allons à l’essentiel : selon la vulgate anti-environnementale, le retour des grands prédateurs (dans les faits, surtout le retour du loup) serait orchestré par la deep écology et s’intègrerait dans un vaste plan de domination planétaire de la dictature écolo. (NDLB* : lire « Le loup et l’ours, auxiliares de l’écologie profonde)
Pourtant, entre la reprise du nucléaire au Japon, l’exploitation des gaz de schistes aux USA ou l’aggravation des menaces sur nombre d’espèces (éléphants, requins, tigres…) le bilan de ce nouvel impérialisme n’est guère probant. Celui des greenwashers est bien plus impressionnant.
20 ans après le retour naturel du loup, un petit bilan des vrais bénéficiaires s’impose.

1er cas : Monsieur le député-maire

Je suis un homme/femme politique possédant un mandat local. Donc des idées pour améliorer le sort de mes concitoyens, j’en ai pas (je suis politique, ne l’oublions pas). Par contre, je ne perds pas de vue l’adage du regretté (?) Georges Frêche : « Quand je fais une campagne, je ne la fais jamais pour les gens intelligents ». Je n’oublie jamais non plus la règle de base de la prestidigitation : la diversion.

La France, c’est (peut être) un grand pays, mais c’est surtout une myriade de petites circonscriptions rurales, où les lobbies pèsent lourd. L’intérêt général, sur le principe, je n’ai rien contre. Mais chez moi, on ne se fait pas élire sur l’intérêt général. Alors le loup, c’est un super client : en me posant en défenseur des « victimes » du loup, je m’attire leur sympathie sans même avoir à me justifier sur le fait que je n’ai jamais fait grand chose de probant pour eux. J’ai beaucoup réfléchi à la question (c’est ma préoccupation principale) mais franchement, en milieu rural montagnard, il n’y a pas meilleure diversion que le loup, à part peut être l’ours…
Et puis, on dira ce qu’on voudra, la couverture médiatique, ça vous requinque un homme. Paris valait bien une messe, dit-on. Alors pourquoi ma notoriété ne mériterait-elle pas de trucider quelques loups ?
Si, en plus, je suis fraîchement élu député d’une circonscription traditionnellement ancrée dans le camp opposé, et conquise au bénéfice d’un contexte favorable, j’ai intérêt à me mettre les éleveurs dans la poche. Car au prochain scrutin, je ne sais pas comment tout ça va tourner.
Evidemment le risque, c’est que les électeurs écolos, en toute cohérence théorique, se détournent de moi au second tour. Mais ils sont tellement stupides que je vais continuer à les empapaouter tout en récupérant le vote pécore. C’est en tous cas le sens du noble combat que je mène.

2° cas : Fédération Départementale de la Jeunesse Paysanne*2

Réunion de travail Je suis syndicaliste agricole. Mon rayon d’action est plus étriqué, vu que ma clientèle est agricole, mais le principe est le même : je ne vais pas vous jouer de la flûte, des idées j’en ai pas non plus. Mais j’ai un credo : il faut faire payer le citadin. Car par définition c’est un bobo-écolo-droit-de-l’hommiste des beaux quartiers, coupé des réalités, et qui donc mérite de payer.
Je suis globalement dans la même situation que le cas n°1 : je peux difficilement m’appuyer sur mon bilan. De programme, à part mon credo, je n’en ai pratiquement pas. En revanche, il y a un concept fédérateur chez nos coreligionnaires : casser de l’écolo. Pour masquer sa propre incurie, il n’y a rien de tel pour se rabibocher avec tout le monde que de désigner un suprême ennemi commun.
(NDLB : Lire le mythe de l’ours )
En plus on se trouve des alliés de circonstance, comme les chasseurs, qui appliquent le bon vieux principe comme quoi les ennemis de mes ennemis sont mes amis.
Est-ce que dégommer du loup, ou éviter des lâchers d’ours, va faire avancer la cause agricole ?
Honnêtement, je m’en contrefous. Mais avec ce contre-feu, je dois pouvoir tenir jusqu’à la retraite. Et en détruisant la Nature, ce qui ne gâte rien. Chacun ses petits bonheurs.

3° cas : Bac + 5

Je suis un docte personnage, ce qui tranche singulièrement avec les deux premiers cas. Je suis réputé(e) dans ma branche, mais ma branche n’est pas très réputée. Ou plutôt, pas très médiatisée. C’est injuste au regard des immenses qualités dont il faut disposer pour y être réputé. Des climatosceptiques en quête de notoriété ont démontré qu’il n’y avait pas forcément besoin de s’y connaître sur un sujet pour être sollicité : affirmer un point de vue atypique suffit. Pour sortir du nombre, il me fallait un sujet bien flippant. J’ai hésité entre deux sujets : un bréviaire sur le loup sanguinaire ou alors l’histoire de France à travers la culture de l’endive. Vous imaginez bien que le dilemme a été grand, mais j’ai courageusement choisi le premier sujet.
Attention : je ne suis ni pour ni contre le loup, tout au contraire. Mais bon, le loup on peut s’en passer tandis que labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France.
Quel apport au débat sur la place incontournable des grands prédateurs dans le renforcement de la résilience des écosystèmes, dont nous avons plus que jamais besoin : pratiquement aucun. Ça donne juste des billes aux pires anti-loups, pour qui j’ai beaucoup de sympathie en dépit de ma neutralité. Mais grâce au loup je passe à la télé. Et même si ce n’est que pour un documentaire en 4ème partie de soirée sur Arte, c’est inestimable…

4° cas : CERPOVIGREF

Pelle-tondeuse à gâteau Je suis expert en expérimentation, étude et diagnostic pastoral ovin. Impressionnant, n’est-ce pas ?
En pratique, le diagnostic est connu de tous et tient en pas grand chose : faut augmenter les subventions graduellement à mesure que les coûts de fonctionnement de la filière progressent, sinon elle se casse la gueule.
En principe, il n’y a donc pas besoin d’experts pendant très longtemps. Mais du pain bénit pour la pérennisation de mon emploi est revenu dans les années 90 via l’Italie. Sans Canis lupus, véritable deus ex machina, jamais au grand jamais on n’aurait pu maintenir et relancer la boutique.
En quoi cela fait-il avancer le schmilblick de la problématique ovine (non compétitivité, effondrement de la consommation, vieillissement des producteurs comme des toujours plus rares consommateurs…) ?
En rien. Pourquoi devrais-je me soucier des véritables causes du déclin ovin alors que tout le monde s’en tamponne ? Il y a un gâteau d‘argent public, je prends juste ma part dans un système qui tond davantage l’éleveur que la brebis.

5° cas : Trifouilly-les-Poêles-Infos

Lunette à faits-divers

Je suis journaliste de terroir multicasquette. Un petit localier ou une petite pigiste, donc. Pour le prix Pulitzer, ça va être compliqué. Pour la dictée de Pivot aussi. A la rigueur, s’il existait un prix France moisie, je pourrais avoir ma chance. En tous cas s’il se crée, je suis ready !
Les temps sont durs pour les média, et davantage encore pour les media locaux. Alors on se recentre sur le cœur de cible. Et le core business du journal local, il est de sexe masculin, n’est plus tout jeune et l’environnement les lui brise menues. Il n’a rien contre les étrangers à condition qu’ils soient d’ici et est globalement très tolérant envers les personnes qui sont d’accord avec lui. Et bien sûr, il déteste les urbains, citadins et autre parisiens. Vous je ne sais pas, mais moi je me reconnais totalement dans ce profil intellectuel. Du coup c’est facile de leur servir la soupe, vu que je mange la même.
L’essentiel de mon rôle, c’est d’assurer la propagande des cas n°1 et 2, tout en racolant auprès des autres cas pour nouer des alliances de circonstance et créer un front anti-écolo. C’est un travail, que dis-je, un sacerdoce, absolument passionnant !
Qu’est-ce que ça change sur le long terme ? Sans doute pas grand chose, mais pour l’instant ça fait durer un peu plus la civilisation agricole anti-nature. Et si elle doit céder la place, j’œuvre à ce que ce ne soit qu’au bénéfice d’une autre civilisation anti-nature. Et si elle doit céder la place, j'oeuvre à ce que ce soit au bénéfice d'une autre civilisation anti-nature : celle des canons à neige, des tunnels à travers la montagne et de toute forme d’aménagement justifiant la destruction d’espèces et d’espaces. Car l’ennemi, le seul, c’est l’écolo. Et la seule tragédie à éviter, c’est l’ensauvagement, qu’on se le dise.

Les cas exclus

Pourquoi ne pas évoquer les chasseurs ? Parce qu’ils ne profitent pas spécialement du retour des grands prédateurs, si on fait abstraction de ceux qui envisagent le tir du loup comme alternative au viagra. Ils se contentent de profiter de la médiocrité du personnel politique, de gauche, de droite comme du centre, pour conquérir toujours plus de pouvoir malgré leur déclin numérique.
Pourquoi ne pas évoquer les « grandes » associations environnementales ? Parce qu’elles ont surtout succombé aux sirènes des petits fours leur promettant des bribes de pouvoir.
Pourquoi ne pas évoquer l’écologie politique de gouvernement : on ne va quand même pas renoncer au bénéfice d’un accord (pré)électoral pour quelques bestioles…

Ce petit monde ne profite pas des grands prédateurs, il se contente juste de les ignorer. A l'exception de quelques-uns, qui auront d'ailleurs du mal à retrouver leur siège aux prochaines élections.

Bilan

Les grands prédateurs, et principalement le loup, induisent donc quantités d’emplois et d’activités périphériques qui péricliteraient en leur absence. Bon, je reconnais que, pour l’instant, ça profite surtout à diverses formes de parasitisme. Mais il faut de tout pour constituer un écosystème riche.
Les intertitres sont de la Buvette des Alpages.
* Note de la Buvette
* 2 nom fictif