À l’époque (c’est à dire entre 1733 et 1867), l’Alaska faisait partie de l’empire colonial russe. Ce n’était donc pas encore cet étrange morceau des États-Unis qui aurait dû naturellement appartenir au Canada. En 1867, les Yankees l’ont acheté aux Russkofs pour deux centimes l’acre. Ça peut vous sembler misérable mais en ces temps-là, deux centimes représentaient une fortune – on pouvait acheter deux ou trois Air Force 1 avec et avoir encore un peu de sous pour lancer son petit business esclavagiste.
Bref, le week-end dernier, un groupe orthodoxe russe du nom de Ptchelki a dénoncé cet accord et exigé que l’Alaska soit rendu à la Russie. Ces mecs se sont faits connaître pour leur réaction à l’intervention controversée des Pussy Riot dans la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou : ils ont conçu un guide de poche pour les Russes orthodoxes qui auraient le malheur de se retrouver face à des blasphémateurs : il faut « détruire leur matériel électronique avec de l’eau bénite, leur cracher au visage et « éviter de faire couler du sang au sein de l’église ; cela dit, s’ils utilisent la violence, il est nécessaire de réagir en conséquence. »
Des articles parus dans la presse suggèrent que la question épineuse du mariage gay (enfin, épineuse pour les fanatiques et intégristes de tous bords) s’est trouvée à l’origine de ce souhait de récupérer l’Alaska. Sans surprise, ce groupe n’est pas très désireux de voir deux hommes être unis par les liens du mariage et comme Obama envisage de faire passer la loi, les Ptchelki prennent des mesures de prévention pour protéger la communauté chrétienne orthodoxe de l’État d’Alaska. J’ai appelé Nikolay Bondarenki, le leader des Ptchelki, pour faire un brin de causette.
VICE : Bonjour Nikolay. Pourquoi remettez-vous en question la légitimité de l’appartenance de l’Alaska aux États-Unis ?
Nikolay Bondarenki : Parce que l’accord d’origine n’est pas correct Légalement, l’Alaska ne devrait pas appartenir aux États-Unis. Dans l’accord ayant permis au gouvernement américain d’acheter l’Alaska dans les années 1800 apparaissent les modalités de paiement – il est dit que la Russie vend l’Alaska aux États-Unis pour 7,2 millions de dollars et que cette somme doit être versée en or. Mais le paiement a été fait par chèque. Comment ça se fait ? On ne sait pas où se trouve ce chèque actuellement donc on ne peut même pas prouver que les Russes ont reçu ce paiement. À l’époque, la Russie et les États-Unis étaient alliés : les individus responsables de cet accord doivent avoir agi en connaissance de cause.
Pourquoi voulez-vous récupérer l’Alaska ?
En tant qu’organisation de défense des droits de l’homme, notre devoir est de surveiller les droits des Russes et des orthodoxes d’Alaska. L’article trois de l’accord stipulait que les personnes vivant là-bas seraient traitées selon leurs traditions, leurs croyances, leur religion et la majorité était orthodoxe. Quand Obama a annoncé son projet de légaliser le mariage entre les couples du même sexe, nous avons réalisé que cela concernerait aussi la population orthodoxe d’Alaska et que cela constituerait une violation directe de l’accord.
Vouliez-vous récupérer l’Alaska avant ça ? Qu’est-ce qui vous a poussé à porter plainte ?
On aurait pu le réclamer il y a quelques mois ; on aurait pu le réclamer il y a cent ans. L’élément déclencheur a été l’affaire de la « collection Schneerson » quand, il y a quelques mois, un tribunal américain a ordonné à la Russie de restituer cette collection aux juifs hassidiques des États-Unis avec une amende de 50 000 dollars pour chaque jour de retard. Cette décision était scandaleuse, et elle a généré de nombreuses discussions.
Quelles sont vos chances de récupérer ce territoire ?
Nous avons de bien meilleures raisons de récupérer l’Alaska qu’ils en avaient à l’époque, donc nous sommes assez confiants.
Que changerez-vous si vous y parvenez ?
Quand notre plainte sera acceptée et que nous aurons gagné, nous demanderons 1 million de dollars au gouvernement américain pour chaque jour de retard. On veillera à ce que cet argent soit donné à des œuvres caritatives, pour aider les orphelins russes et les enfants handicapés.
Ça a le mérite d’être gentil.
Quant au territoire, nous voudrions reprendre tous les commerces locaux et les mettre sous juridiction russe. Dans le futur, ils appartiendront à de grosses entreprises russes. Globalement, c’est un bel endroit et je pense que nous pourrions protéger le site. Il y a des paysages magnifiques.
J’adore la nature et tout, mais que feriez-vous des gays d’Alaska ?
Les gays peuvent vivre comme ils le désirent, mais il est inacceptable pour nous, les Russes, de promouvoir ce style de vie auprès des jeunes.
Que feriez-vous s’il y avait un bar gay en Alaska ? Serait-il autorisé ?
Peut-être que ce type de bar existe aussi en Russie, je ne sais pas. De tels endroits sont autorisés par la loi mais il y aurait un problème au niveau de leur promotion. Nous devons y songer. Elle pourrait contenir de la propagande gay. Si c’est un lieu privé et qu’ils y font ce qu’ils veulent ça va, mais ils ne devraient pas être autorisés à en parler autour d’eux.
Et les Américains ?
Nous leur proposerons de déménager dans un autre État au cours des trois premières années. S’ils préfèrent rester en Alaska, ils pourront accepter la nationalité russe et devenir russes. C’est ce qu’ont fait les Américains à l’époque.
Parlez-moi de vos travaux en matière de droits de l’homme. J’ai entendu dire que vous essayiez d’aider les orphelins en combattant l’éducation sexuelle dans les écoles.
Quand l’URSS est devenue la Russie, beaucoup de prêtres orthodoxes se sont occupés des orphelins et des enfants abandonnés en mettant en place des petits orphelinats. Ce n’était pas idéal, parce que la plupart des orphelinats de l’État moderne russe menaient les enfants à la criminalité. Les orphelinats orthodoxes éduquent les enfants de manière très patriotique et saine, et les enfants de ces orphelinats fondent des familles saines et éduquent des enfants sains et propres. Ils ne reçoivent aucune éducation sexuelle – c’est bien trop jeune pour entendre parler de sexe.
Ne comprenez-vous pas que des gens puissent souhaiter que leurs enfants apprennent comment faire l’amour de manière saine, même si leur intérêt pour le sexe est, comme vous dites, « malsain » ?
Ce désir bizarre de certains parents de parler de sexe à leurs enfants mène ces derniers à s’y intéresser et cause des grossesses précoces et des avortements. Les Américains sont d’accord avec nous – ils commencent à abandonner l’idée d’éducation sexuelle et ont décidé d’élever les enfants dans la chasteté et la pureté. Nous voulons que le sexe soit réservé aux couples mariés. Nous voulons que les jeunes se marient dans l’honnêteté et qu’ils aient des enfants purs.
Je vois. Je ne suis pas tout à fait convaincu que supprimer l’éducation sexuelle empêchera les gens de faire l’amour. Mais merci et bonne chance pour votre mission, hein.
Source: Vice.com