L'âne : lecture expliquée en 1930

Par Choupanenette

L'homme doit se montrer reconnaissant envers tous les animaux domestiques des services qu'ils lui rendent, en les soignant et en le les maltraitant pas. - BUFFON (1717-1788), auteur d'une Histoire naturelle célèbre, plaide chaleureusement la cause de l'âne, trop souvent méprisé. 
Dans ce portrait de l'âne, Buffon s'est plu à mêler ses descriptions de pensées philosophiques.

On ne fait pas attention que l'âne serait lui-même, et pour nous, le premier, le plus beau, le mieux fait, le plus distingué des animaux, si dans le monde il n'y avait point le cheval ; il est le second au lieu d'être le premier, et par cela seul il semble n'être plus rien : c'est la comparaison qui le dégrade ; on le regarde, on le juge, non pas en lui-même, mais relativement au cheval ; on oublie qu'il est âne, qu'il a toutes les qualités de sa nature et aux qualités du cheval, qui lui manquent, et qu'il ne doit pas avoir.
Il est de son naturel aussi humble, aussi patient, aussi tranquille que le cheval est fier, ardent, impétueux ; il souffre avec constance, et peut-être avec courage, les châtiments et les coups : il est sobre et sur la quantité et sur la qualité de la nourriture ; il se contente des herbes les plus dures, les plus désagréables, que le cheval et les autres animaux lui laissent et dédaignent : il est fort délicat sur l'eau, il ne veut boire que de la plus claire, et aux ruisseaux qui lui sont connus : il boit aussi sobrement qu'il mange, et n'enfonce point du tout son nez dans l'eau, par la peur que lui fait, dit-on l'ombre de ses oreilles. Comme l'on ne prend pas la peine de l'étriller, il se roule souvent sur le gazon, sur les chardons, sur la fougère, et, sans se soucier beaucoup de ce qu'on lui fait porter, il se couche pour se rouler toutes les fois qu'il le peut, et semble par là reprocher à son maître le peu de soin qu'on prend de lui ; car il ne se vautre pas, comme le cheval, dans la fange et dans l'eau ; il craint même de se mouiller les pieds, et se détourne pour éviter la boue ; aussi a-t-il la jambe plus sèche et plus nette que le cheval. Il est susceptible d'éducation, et l'on en a vu d'assez bien dressés pour faire curiosité de spectacle.
Dans la première jeunesse, il est gai, et même assez joi ; il a de la légèreté et de la gentillesse ; mais il perd bientôt, soit par l'âge, soit par les mauvais traitements, et il devient lent, indocile et têtu.
Il s'attache à son maître, quoiqu'il en soit ordinairement maltraité ; il le sent de loin, et le distingue de tous les autres hommes ; il reconnaît les lieux qu'il a coutume d'habiter, les chemins qu'il a fréquentés ; il a les yeux bons, l'odorat admirable, l'oreille excellente, ce qui a encore contribué à le faire mettre au rang des animaux timides, qui ont tous, à ce qu'on prétend, l'ouïe très fine et les oreilles longues ; lorsqu'on le surcharge, il le marque en inclinant la tête et baissant les oreilles ; lorsqu'on le tourmente trop, il ouvre la bouche et retire les lèvres d'une manière très désagréable, ce qui lui donne un air moqueur et dérisoire.
Si on lui couvre les yeux, il reste immobile et, lorsqu'il est couché sur le côté, si on lui place la tête de manière que l'oeil soit appuyé sur la terre et qu'on couvre l'autre oeil avec une pierre ou un morceau de bois, il restera dans cette situation sans faire aucun mouvement et sans se secouer pour se relever ; il marche, il trotte, et il galope comme un cheval ; mais tous ses mouvements sont petits et beaucoup plus lents, quoiqu'il puisse d'abord courir avec assez de vitesse, il ne peut fournir qu'une petite carrière pendant un petit espace de temps.