Hommes et féminisme

Publié le 27 mars 2013 par Juval @valerieCG

J’étais en train d’écouter une émission sur le « féminisme au masculin » et d’un coup cela m’a profondément gonflée.

Les hommes sont une classe dominante. Qu’ils le veuillent ou non. Ils en font partie qu’ils le souhaitent ou pas.

Si vous êtes embauché au même poste qu’une femme à compétences et diplômes égaux, vous serez probablement mieux payé. Vous n’y êtes pour rien  mais c’est ainsi.
Entre une jeune mère de famille et un jeune père de famille, on tendra aussi à embaucher l’homme puisqu’on partira du principe que la femme va beaucoup s’absenter quand l’enfant sera malade.
Les exemples sont légions. Qu’ils le veuillent ou non, les hommes bénéficient de ces privilèges.

C’est la même chose pour le racisme. J’ai plus de chances à diplômes et expériences égales d’être embauchée qu’un-e racisé-e. Y suis-je individuellement pour quelque chose ? Non. je fais partie d’une classe favorisée ET privilégiée. Hurler que je n’y suis pour rien et que m’en vouloir pour cela est trop méchant serait autant obscène qu’indécent.

Revenons donc à nos hommes féministes. Je ne nie pas qu’ils le soient bien sincèrement.  Simplement j’en vois très peu discuter de leur propre condition dans le patriarcat. J’en vois très peu travailler par exemple sur la virilité, sur le fait que les garçons échouent beaucoup à l’école, que les hommes se suicident davantage. Pourtant l’on sait bien que pour que la condition des femmes évolue, celles des hommes doit changer aussi. Tant qu’on considérera qu’un homme n’a pas à prendre un congé pour s’occuper de son gamin malade, alors les femmes continueront d’être dévolues au ménage et aux soins aux enfants. Le sexisme est une médaille à deux faces ce qui ne veut PAS DIRE que les classes hommes et femmes subissent les mêmes dominations. Il est bel et beau de brailler qu’il est totalement injuste que les femmes soient cantonnés dans certains rôles sociaux quand la plupart des hommes – féministes compris – ne souhaitent surtout pas modifier les leurs. En clair, ils comprennent tous bien qu’il est anormal qu’une femme soit systématiquement sollicitée quand il s’agit des enfants par exemple, mais n’ont aucune intention de renoncer à leur carrière, leurs loisirs ou que sais je pour qu’elle ait le choix.

Non les hommes féministes préfèrent « défendre les droits des femmes ». Laisse moi tranquille. Va gérer ta condition. Regarde le nombre d’hommes agressés par d’autres hommes. Regarde le nombre d’hommes en prison. Regarde le nombre d’hommes qui se suicident. Regarde qui viole (ouch pardon je dis ce qu’il ne faut surtout pas dire ; la vérité est tellement douloureuse, ce sont les hommes qui violent.. mais pas tous attention, ne parlons que de ceux qui ne violent pas et distribuons leur des bisous pour leur bienveillance), va éduquer.

J’ai toujours été frappée par le fait que le bouquin qui fait référence sur le féminisme est un livre de Bourdieu, La domination masculine. Un homme blanc qui écrit un livre sur les rapports de classe sans vraiment les remettre en cause et surtout déranger qui que ce soit. Livre qui a connu un immense succès alors que les travaux faits par des chercheuses pendant des décennies avant lui – et dans lesquels il pioche sans vergogne et sans citation – ont toujours été ignorés.
Rappelons cette phrase « Le pouvoir symbolique ne peut s’exercer sans la contribution de ceux qui le subissent et qui ne le subissent que parce qu’ils le construisent comme tel ». Cette phrase signifie ni plus ni moins que le dominé consent à sa domination, qu’il y participe, qu’il et d’accord, qu’il y consent. En gros, cocotte, les violences que tu subis, tu y participes. 
et
« Si les femmes, soumises à un travail de socialisation qui tend à les diminuer, à les nier, font l’apprentissage des vertus négatives d’abnégation, de résignation et de silence, les hommes sont aussi prisonniers, et sournoisement victimes, de la représentation dominante » et « La structure impose ses contraintes aux deux termes de la relation de domination, donc aux dominants eux mêmes qui peuvent en bénéficier tout en étant, selon Marx, ‘dominés par leur domination. »

C’est à dire que Bourdieu place sur le même place la classe « hommes » et la classe « femmes » en niant les rapports de pouvoir qui existent entre eux . (Marx se tord de douleur là). Tout se passe comme si on niait le rapport de classes, comme si les hommes étaient soumis à la domination qu’ils exercent en tant que classe et jamais n’en  étaient responsables. Comme si la classe hommes dominait mais sans en être vraiment responsable au fond. Et au fond si on n’en est pas responsable.. autant rester comme on est non ?

Quand Delphy écrit ceci Nos amis et nous, elle montre tout à fait que « Où est alors la différence entre ces « amis » et nos ennemis déclarés, ceux qui nous traînent dans la boue et nous couvrent de ridicule ? C’est une différence de moyens et pas de fin, ou comme dirait Alzon, une « affaire de tactique », et non de stratégie. Les premiers nous attaquent de front et avouent franchement (« loyalement » ?) leur objectif : rester à leur place (et donc nous maintenir à la nôtre). Nos amis, eux, ont choisi d’essayer de garder leur place d’une façon plus subtile, mais aussi plus complète. Car les premiers sont exclus, de peu puisqu’il leur reste la société entière, mais au moins des rangs féministes, tandis que les seconds ne visent à rien moins qu’à maintenir leur pouvoir jusqu’à l’intérieur du petit bastion de résistance à ce pouvoir. »

Même en étant féministe – ce que n’est pas Bourdieu ne vous en déplaise – un homme continue d’appartenir à une classe dominante et à en avoir les privilèges. Il sera donc davantage invité dans les media pour parler des problèmes des femmes (comprenez, elles ne veulent pas venir), il saura expliquer de façon plus succincte et plus claire ce qu’une femme a mis six mois à rédiger. Et puis il faut bien un point de vue égalitaire, sinon on rentre dans le communautarisme (le communautarisme, ce concept créé pour expliquer aux dominés que seul le dominant peut créer des groupes où il se retire avec ces potes mais où, rassurez il parlera de temps à autre des bribe d’égalité qu’il veut bien nous accorder). Dans les groupes féministes,  il saura mesurer le débat, parler en notre lieu et place et nous expliquer, par exemple comment lutter et la priorité de combats.

Quelques pistes de reflexion (parions 200 balles que tout le monde va conclure du premier lien que je prône la castration symbolique des hommes).
Refuser d’être un homme – Pour en finir avec la virilité

De la masculinité à l’anti-masculinisme : Penser les rapports sociaux de sexe à partir d’une position sociale oppressive par Léo Thiers-Vidal