Vierge de toute connaissance sur l’artiste, je suis entrée dans la galerie immaculée qui valorise et tranche avec son univers fourmillant et coloré. J’ai choisi de restituer ma visite comme une histoire, suivant les formes-mouvements que dessine l’artiste, celles retraçant la course de ces petits pandas attendrissants dont les expressions surprennent. Nous pourrons ensuite aborder l’approche de Fiona Rae plus avant.
Plus loin dans un ciel noir, et dans des dominantes de vert, ils sont aux prises avec une végétation étrange. On pense à des bambous, à de la verdure. Est-ce qu’il s’agit de cela ? Prenons du recul ne serait ce pas un dragon asiatique ? La texture velue intrigue.
A coté dans le rose orangé on cherche à nouveau une forme plus grande. On devine une patte à doigts et des antennes. Un ourson se découpe les autres disparaissent dans le noir velu se confondent en boules touffues.
Dans un format petit bleu et glacé l’ourson peinturluré est aveuglé. Que doit-on y lire ?
Puis c’est l’apothéose de dégoulinures et de projections dans cette fantaisie colorée sur aplat gris. Les oursons apparaissent en pointilles mais cette fois formés de petits points et par des tirets. Juste par leur contour. On s’arrête. On se plonge dans les motifs, dans la couleur et la texture. On lit les transparences, les diverses couches de couleurs qui forment des dégradés.
Les oursons sont dessinés debout sur un fond orangé. Une forme noire et velue se détache. Ils ont une expression d inquiétude. Il se passe quelque chose.
Ainsi, sont restituées les impressions ressenties devant ces 7 tableaux décrits ici. Et c’est avec grand intérêt que j’ai compris comment travaillait Fiona Rae. « Le point de départ de ces nouvelles peintures est une série de pandas brodés, que j’ai achetés au Pearl River Emporium à New York. La broderie est faite main : on dirait un dessin coloré sur de la soie noire et blanche. La fragilité de leur facture leur confère une expression et un statut ambigus, de sorte qu’ils apparaissent ridicules et menaçants à la fois. Encore plus important, je pouvais les prendre comme raison de peindre. (…) Avec ces pandas comme mascottes, amulettes, protagonistes, victimes ou observateurs — quel que soit leur rôle dans chaque tableau — je peux faire de la peinture qui porte un point de vue, un regard sur elle-même, tout en restant une manifestation totalement engagée des possibilités picturales. »
En défendant les idées de contexte et de contingence, elle explique qu’elle agence les éléments et les matières dans une logique du moment, qui lui semble à cet instant juste. Poussée par une sorte de création jubilatoire, elle semble capter les mouvements et les flux en utilisant plusieurs techniques : la peinture brute, mais aussi celle à la bombe, ainsi que certains logiciels de traitement de l’image. Ainsi elle esquisse ce qu’elle appelle une « suspension de l’incrédulité » dans l’agencement de ses motifs. La forme est à la fois ce qu’elle est et ne l’est pas : la ligne en pointillés est informative et ne l’est pas par exemple. Elle est la contingence même. Les titres questionnent le sens, ils ne sont parfois pas directement intelligibles, mais ils donnent l’intention de l’artiste, et un éclairage un peu différent qui oriente notre perception (je pense à « Joy diffuses », le petit tableau bleu, où les pandas peinturlurés m’ont intriguée et inquiétée, alors qu’il s’agit de l’expression de leur joie qui les sature).
Et pour terminer avec les mots de l’artiste « ce qu’il y a de beau et excitant dans la peinture est sa capacité de présenter un monde que peut habiter le spectateur, un monde sans mode d’emploi quant à la façon de le traiter ou de le comprendre. »
Une exposition étonnante à voir :
New Paintings, Fiona Rae
Galerie Nathalie Obadia
18 rue du Bourg Tibourg
75004 Paris