Vatican - Benoît XVI vs. François Ier : comment un pape peut en cacher un autre...
(Femmes de Chambre, 27 mars 2013)
Source image
« Montre-moi donc ta foi qui n'agit pas; moi, c'est par mes actes que je te montrerai ma foi. »
Lettre de Saint Jacques, II,18
Deux semaines après la surprise de l’élection du Cardinal Jorge Mario Bergoglio au Vicariat du Christ, après avoir repris son souffle et avec désormais un peu de recul, il est plus aisé de recadrer en perspective la personnalité politique et spirituelle de ce nouveau pape venu d’ailleurs et presque parfaitement inconnu.
Après l’euphorie qui a succédé à l’annonce de l’accession de « l’Archevêque des pauvres » au trône de Saint-Pierre, le doute s’insinue, réflexion faite…
En effet, si le traditionalisme de Benoît XVI en matière de doctrine et de liturgie, de fidélité aux principes du catholicisme dans le domaine sociétal (homosexualité, mariage, contraception, avortement…), a occulté la dimension éminemment progressiste de ce pape, étiqueté « réactionnaire » par les médias et dont l’extraordinaire encyclique sociale Caritas in Veritate est passée comme inaperçue du grand public, tout à l’inverse, l’image d’emblée admise de François Ier, le « Pape des pauvres », tout droit sorti de la Compagnie de Jésus (l’antithèse de la droite dure de l’Église incarnée par l’Opus Dei) et qui a choisi de prendre le nom du saint le plus « à gauche » de toute l’histoire, pourrait bien dissimuler, en réalité, une vision du monde des plus conservatrices, dans la tradition d’un clergé hispano-américain ancré dans un dolorisme spirituel écrasant et partisan d’une politique farouche de défense des privilèges et de l’ordre social : « chers pauvres, nous vous aimons, mais tels que vous êtes, sales et affamés, parce que c’est tels que Dieu vous a faits ; aussi, ne changez pas, surtout, patientez, car c’est dans l’au-delà que vous sera accordée votre part de richesse et de bonheur ; mesurez votre joie de partager la souffrance et la douleur, à l’imitation de Jésus-Christ. »
Cette attitude doctrinale n’enlèverait rien, bien sûr, à la sincérité de la compassion et de la charité, au sens chrétien, c’est-à-dire à l’amour pour l’autre. Mais elle contreviendrait à l’élan qui s’était imperceptiblement fait jour au sein de l’Église, sous le précédant pontificat, en termes politiques et sociaux.
Ainsi, dans Caritas in Veritate, Benoît XVI appelait-il les Catholiques à se servir de leurs possibilités d’influence politique au sein de la société pour construire des institutions plus charitables. Cette « voie institutionnelle de la charité », de « l’amour », affirmait-il, est aussi déterminante que la charité qui s’exerce directement envers son prochain. Il s’agissait pour Benoît XVI de promouvoir le « partage des biens et des ressources » et de dénoncer « les péchés structurels », causes de la pauvreté et de la misère sociale.
Dès lors, Benoît XVI réclamait des Catholiques qu’ils s’impliquassent à porter le projet d’un État plus fort face à l’internationalisation de l’économie, pour que l’État et les pouvoirs publics devinssent capables d’apporter les correctifs nécessaires à protéger les populations socialement les plus faibles des dysfonctionnements dus à la mondialisation de la finance. « Selon la perspective de la doctrine sociale de l'Église, (...) la gestion de l'entreprise ne peut pas tenir compte des intérêts de ses seuls propriétaires, mais aussi de ceux de toutes les autres catégories de sujets qui contribuent à la vie de l'entreprise : les travailleurs, les clients, les fournisseurs des divers éléments de la production, les communautés humaines qui en dépendent. » Et Benoît XVI encourageait de fait les syndicats de travailleurs à s’organiser à l’échelle internationale pour gagner en efficacité.
Tout cela, cependant, a été tu par les médias.
Dans sa réflexion, Benoît XVI avait même esquissé une réhabilitation, bien que timide, de la Théologie de la Libération, de ces prêtres, essentiellement actifs en Amérique latine, qui avaient pris fait et cause pour les masses économiquement opprimées. Ces prêtres que Jean-Paul II, obsédé par le souvenir de la Pologne de Jaruzelski et par sa croisade anticommuniste, avait voués aux gémonies.
Au début de son pontificat, Jean-Paul II avait ainsi rencontré et soutenu le dictateur chilien Augusto Pinochet, principal protagoniste du coup d’État fomenté par Washington contre le gouvernement démocratiquement élu du président socialiste Salavador Allende. Mais l’on se souviendra de la dernière visite de Jean-Paul II aux États-Unis, en 1999, lorsque, dans un discours qui surprit tous les observateurs, le pape, haussant le ton et menaçant l’assemblée du doigt, sermonna publiquement la nation du libéralisme économique, en présence d’un William Clinton embarrassé et médusé, « pour tout le mal qu’elle faisait au monde ». Déjà, à la fin du pontificat de Jean-Paul II, avant que ne commençât sa maladie et son long calvaire, on avait pu appréhender l’influence de Benoît XVI et le tournant social qu’il allait impulser.
Si Benoît XVI refusait que des prêtres s’armassent et participassent aux guérillas latino-américaines en lutte contre les dictatures au service des intérêts ultralibéraux états-uniens, il n’en défendait pas moins, toutefois, le principe du combat politique promu par la Théologie de la Libération comme faisant partie entière de l’Église, car, professait le Saint-Père, le salut de l’homme passe aussi par l’action politique.
Or, c’est précisément ce qui est reproché par la gauche de l’Église au Cardinal Bergoglio, d’avoir acquiescé, tout en se montrant proche des pauvres, à l’éradication de la Théologie de la Libération en Argentine, combattue par la junte militaire initialement conduite par le général Jorge Rafael Videla, entre 1976 et 1983. En cela, Provincial de la Compagnie de Jésus (c’est-à-dire responsable national), il se confronta à plusieurs reprises au Général des Jésuites, Pedro Arrupe, et appelait à épurer la Compagnie, à en éradiquer les « Jésuites de gauche ».
Plus grave, le Provincial Bergoglio a été jusqu’à dénoncer des membres de son ordre, comme l’a confirmé, notamment, l’Ambassadeur argentin à Rome. Deux prêtres, Orlando Yorio et Francisco Jalics, qui militaient pour les droits sociaux des pauvres des bidonvilles de la banlieue de Bajo Flores à Buenos Aires, ont ainsi été enlevés suite à un rapport de leur supérieur qui les désignait en tant que guérilleros, après avoir préalablement dissuadé les évêques argentins de leur accorder leur protection. Les deux Jésuites furent torturés pendant cinq mois avant de prendre le chemin de l’exil. Leurs paroissiens les plus actifs furent eux aussi arrêtés ; ils disparurent.
Le costume ne fait donc pas le Jésuite, pourrait-on écrire à propos du nouveau pape…
D’ailleurs, au-delà de l’illusion, c’est un homme en réalité très proche de l’Opus Dei que l’on découvre peu à peu.
Le Cardinal Bergoglio est en effet un grand habitué des communautés de l’Œuvre ; et c’est plus qu’à son tour qu’il s’est recueilli sur la tombe d’Escrivá de Balaguer, le fondateur de l’Opus Dei, canonisé par Jean-Paul II à grande vitesse après que l’Œuvre a acheté sa place au Paradis, à la faveur du scandale de la banque vaticane, l’Opus ayant épongé les pertes, en échange d’un aller simple pour le panthéon au bénéfice de celui qui, durant la guerre civile espagnole, avait soutenu le Caudillo Franco.
Sans aucun doute, le Cardinal Bergoglio n’a-t-il pas grand-chose en commun avec Monseigneur Oscar Romero, archevêque de San Salavador, assassiné en 1980, en pleine messe, et dont les pauvres d’Amérique latine, qui le considèrent comme le « Saint patron officieux du Nouveau Monde », attendent en vain, depuis plus de trente ans maintenant, que le Vatican fasse aboutir le procès en canonisation : l’Église, affirmait Msgr Romero, doit se solidariser avec les pauvres, pour qui l’émancipation politique est la seule réponse à leur état de misère.
Ainsi, tout aussi charismatique que le fut Jean-Paul II, François Ier pourrait bien, lui également, en étourdir plus d’un, rejetant dans l’ombre et l’oubli le travail de fourmi de son prédécesseur…
Cela étant, souvenons-nous que Saint Pierre lui-même renia par trois fois le Christ. La chair est faible et l’homme change tout au long de sa vie.
Ne prétendons pas, dès lors, écrire déjà l’histoire d’un pontificat qui n’a pas même encore commencé…
Lien(s) utile(s) : Femmes de Chambre
Sur le même sujet, lire également :
VATICAN - Benoît XVI : entre tradition et progrès
Voir aussi :
- Amalgames, acharnement et stigmatisation : l’Eglise catholique dans la tourmente
- Le pape et la capote : la dernière blague belge
- Arte - Qui veut la peau de Benoît XVI ?
- Réponse d'un Catholique romain au théologien suisse Hans Küng
Texte de la Lettre encyclique Veritas in Caritate : Veritas in Caritate.
© Cet article peut être librement reproduit, sous condition d'en mentionner la source