C’est non sans appréhension que je me suis décidée à aller voir Spring Breakers, craignant de me retrouver dans un teen movie ras des pâquerettes. Un peu perplexe face aux critiques si fortement divisées, certaines dithyrambiques et d’autres carrément cassantes, il était bon d’aller se faire son opinion par soi-même.
Ils étaient nombreux à vouloir constater la perte de contrôle des 4 starlettes s’émancipant de Disney, en effet la salle était pleine de jeunes en quête de sensations désordonnées qui s’attendaient à une ambiance entre American Pie et Projet X. Ils ont été déçus et ont vite perdu le fil.
Ici le Spring Break conserve toute sa dimension aliénante, où il est question de perte de contact avec la réalité avec ses valeurs, d’excès en tous genres et de test de ses limites, mais il est montré d’une façon si stylisée que la forme prend le pas sur le fond. Ces déboires, on va les aborder dans toute leur crudité, en suivant les postérieurs juvéniles et rebondis de nos 4 héroïnes en bikinis. Mais il est considéré autrement qu’à l’accoutumée : il n’est pas l’image stéréotypée que les européens envient aux américains. Ces maisons pleines d’adolescents qui dansent au bord d’une piscine, en s’adonnant à tous les excès possibles n’a rien de bien attirant. Pour ce faire, c’est par la manière de montrer cet événement qu’Harmony Korine va procéder à quelque chose d’inattendu.
Pour la première partie du film qui montre le Spring Break et sa préparation (notamment la collecte de la somme nécessaire au voyage), il utilise un angle esthétisant qui instaure dès lors une distance avec la réalité. Une bulle, un monde à part dans lequel il emballe ses jeunes héroïnes. Toutes les quatre excitées et motivées à l’idée de ces vacances circonscrites dans le temps, souhaitent fuir leur quotidien et aller s’oublier au bord de la mer.
Parmi elles, Faith (jouée par la candide Selena Gomez qui semble vraiment très jeune), est la plus sage. Les 3 autres sont plus téméraires, Cotty (Rachel Korine) affublée d’une chevelure rose fait office de chauffeur, tandis que Brit (Ashley Benson) et Candy (Vanessa Hudgens) sont les plus délurées (et parviennent à casser leur image traditionnelle). Leurs vies se partagent entre la fac (où elles s’ennuient ferme), leur soirée (déjà baignées d’excès) et leurs occupations : groupes de prière pour Faith, et ennui mortel pour les autres.
D’emblée l’attirance de Candy et Brit pour le sexe et la mort est installée. Chacune des deux mimant le canon d’un révolver, jouant avec un pistolet à eau, mimant des scènes qui allient les deux. Ces scènes jouées par des teenagers ont quelque chose de franchement choquant, et lorsqu’on rapproche leur personnage de leur image lisse de Disney l’effet est encore plus frappant. On oscille entre ces scènes plutôt crues, et d’autres juvéniles filmées avec un regard un peu voyeur qui s’attarde sur leurs formes.
Mais pris dans l’angle séduisant d’images stylisées et répétées, on se glisse dans le film pour suivre les filles dans leur quête d’elles-mêmes. Cette entreprise est plutôt convaincante et loin d’un simple effet « clip », il déjoue au contraire les codes (images qu’on rapproche de celles vues sur MTV, du rapport de force entre les filles et les garçons…) et cela achève définitivement ceux qui étaient venus voir ça. Cette recherche est portée par le discours énoncé en voix-off, quasi-omniprésent, et exprimé par les héroïnes. Sur les mots chastes sont présentées des images trash, parfois inappropriées. Sur ces mêmes mots, d’autres images se superposent, provoquant un effet entêtant. Les filles testent ainsi leurs limites, leur courage, et ce qu’elles peuvent supporter ou endurer.
Ainsi du Spring Break coloré on bascule dans une atmosphère plus étouffante et carrément menaçante, notamment à partir de la seconde partie du film lors de leur rencontre avec Alien. Jouant les gros durs, on ne sait pas ce qu’il fomente en regardant les 4 jeunes filles, en répétant qu’il a de la chance, qu’il a dû faire quelque chose de bien, ou en murmurant à Faith qu’elle est sa préférée. On flirte toujours avec les limites du convenable, et cette déclaration a un air de menace, de présage de viol ou autre.
Lui avec sa panoplie de gangster, cheveux tressés sur le crâne, dentition en or et lunettes de soleil, il leur ouvre ses portes et son cœur, fier de leur montrer tout ce qu’il possède : billets de banque, drogue, et armes en tous genres. Elles, toujours en bikinis, lui opposent leurs formes, leur jeunesse et leur inconscience. Ils se rencontrent comme deux images de la jeunesse matérialiste en quête d’argent, de fun et d’oisiveté. Ainsi, deux d’entre elles, quittent chacune à leur tour le groupe, pourtant sacrément solidaire, au moment qui lui semble opportun. Leurs limites sont là, et elles se reconnectent à la réalité en décidant de reprendre le bus pour chez elles. Les deux dernières ont perdu le sens des choses, elles jouent les girls de leur protecteur, à coups de braquages, de meurtres et de scènes absurdes.
Le film a basculé dans le grand n’importe quoi. Grâce aux plans répétés, aux expressions décalées des personnages (Alien qui chante du Britney Spears avec un air profond), ou aux ralentis, la distance se creuse davantage avec le réel. L’atmosphère ouatée et la photo encore plus esthétisante du film, nous donne à penser que les filles sont parties aux confins de leurs limites.
Dommage que cet ensemble stylisé, qui se tenait jusque là, soit gâché par une fin improbable qui le décrédibilise totalement.
Finalement, j’ai plutôt apprécié, on en ressort comme d’un mauvais songe, un peu sonnés, en concluant qu’il s’agit d’un film sur la vacuité, qui propose de filmer ce vide qu’on cherche à combler avec tous les excès possible aux vacances de Pâques.
A voir :
Spring breakers, un film américain d’Harmony Korine, (1h32)