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Google et le triangle infernal

Publié le 15 avril 2008 par Jean Lançon

[En avant-propos de ce billet, je tiens d'emblée à préciser que je ne suis pas du tout hostile à Google. J'apprécie hautement la qualité de bon nombre de ses services, dont je suis "consommateur" - dans des limites qui me semblent raisonnables toutefois. Le billet ici présenté ne revêt donc aucune forme de "googlebashing" dissimulé ou non, mais a pour seule vocation de livrer une analyse personnelle, la plus objective possible, sur Google, sa position sur ses marchés, son évolution étourdissante, et sur les conséquences plus ou moins prévisibles de tout cela.]

Logogoogle
Google a grosso modo dix ans. Jamais une compagnie n'a mis aussi peu de temps à construire un tel empire financier. Le groupe des entreprises qui constituent le réseau Google est tentaculaire, et la compagnie s'est engagée à maintes reprises dans des marchés qui dérivaient assez sensiblement de sa mission première. Ce que l'on appelle, en termes de business, une diversification. Et le terme, loin d'être péjoratif, est au contraire signe d'une vision stratégique, du moins pour peu que la diversification soit réfléchie.

Corollaire de ce succès phénoménal : Google fait peur. D'aucuns s'inquiètent sur l'usage qui peut - ou pourrait - être fait de leurs données personnelles, tandis que d'autres se demandent s'il n'arrivera pas un jour où Google aura atteint un tel niveau de contrôle sur l'Internet que la compagnie pourra, selon son choix, décider qui aura le droit de visiter tel site, et/ou moyennant quelle contribution financière, voire tout simplement posséder Internet. J'en vois qui rient au fond de la classe, mais il suffit d'analyser comment Google progresse (tant en termes de résultats financiers que de diversification) pour réaliser qu'à moyen ou long terme, il n'est pas exclu d'imaginer que toute l'infrastructure mondiale de l'Internet pourrait tomber - du moins indirectement - dans son escarcelle.

Google fait peur et suscite ces craintes pour trois raisons principales, que j'appelle le "triangle infernal" :

  • son omniprésence, notamment grâce à son moteur de recherche, à Adwords et à Gmail, sans parler de la récente acquisition de DoubleClick ;
  • le mystère qui entoure l'utilisation qui pourrait virtuellement être faite des données personnelles des utilisateurs ;
  • le "droit de vie ou de mort" qu'a potentiellement Google sur chaque site référencé dans son moteur (et dont il peut l'exclure sans justification du jour au lendemain).

J'ai déjà eu l'occasion d'en parler, une analyse beaucoup plus fine et beaucoup plus complète de la position de Google sur l'Internet est parue début 2007 de la plume de Daniel Ichbiah, dans son livre intitulé "Comment Google mangera le monde". Une lecture à charge et à décharge, que je vous recommande très vivement.

Je ne suis pas, d'ordinaire, un grand adepte du "principe de précaution". Mais pour le coup, sans doute parce que voir l'Internet, media (relativement) libre de par sa nature, tomber sous le contrôle d'une seule et unique compagnie, aussi "humaniste" soit-elle, serait l'une des pires catastrophes qui soient, et à mon avis un frein à ce que sont en train de devenir ce que l'on appelait jadis nos "autoroutes de l'information". Aussi me suis-je récemment quelque peu dégooglisé, peut-être même un peu trop d'ailleurs, car avec quelques jours de recul je réalise à quel point Google Reader est un agrégateur extraordinaire. Je songe de plus en plus à y revenir finalement, et ce sans réels états d'âme.

Et avec encore moins d'états d'âme parce que le garde-fou que constitue la cotation en Bourse de Google peut servir de paravent à bien des dérives, sous réserve - et rien n'est prouvé - que Larry Page, Sergey Brin et consorts eussent des velléités de franchir la ligne jaune. Il suffirait d'un pas de trop en dehors des limites, voire d'un sérieux procès (antitrust, atteinte aux libertés individuelles, etc.) pour que le cours de l'action Google s'effondre.

Sans doute n'avons-nous pas tiré assez d'enseignements de la leçon Microsoft. La firme de Redmond n'avait pas parcouru un dixième du chemin de Google, que déjà procès (judiciaires ou d'intentions), rumeurs, bashing, s'étaient répandus comme des traînées de poudre sur toute la planète numérique. Or, au final, rien de ce qui était tant redouté de la part de Microsoft (en résumé, un sordide remake de Big Brother) n'arriva. D'ailleurs, même Orwell s'était planté : vingt-quatre ans après 1984, le monde n'est toujours pas contrôlé par un grand ordinateur central omniscient.

Faisons confiance à Google (non sans assortir cette confiance d'un certain niveau de vigilance), faisons confiance aux humains en général, faisons confiance le cas échéant à la justice, aux associations de défense des libertés ou des consommateurs, et wait and see. A l'heure du tout-buzz, penser que Google - ou n'importe quelle autre compagnie d'ailleurs - pourrait s'emparer de notre réseau, de nos données, de nos vies, de nos âmes, sans que nul ne tire la sonnette d'alarme, reviendrait à sous-estimer les utilisateurs de la Toile.

Souvenez-vous simplement que Google n'est pas l'Internet, et que des milliers d'autres services, de très grande qualité aussi, existent et ne doivent pas être systématiquement ignorés ou délaissés sous le simple prétexte que Google en propose l'équivalence.

 

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