Regarde-moi ça, comme ça se pavane, comme ça se dandine, ça n'sait plus où ça a garé sa limousine, c'est sûrement le reflet de ses bagues dans la vitrine qui l'éblouit à travers ses Ray-ban.
Ah mais non ! J'suis con ! ça n'sait plus où ça a rangé son chauffeur.. En attendant, si on allait s'acheter une quatrième montre, « je n'en ai pas encore avec des pierres précieuses, Darling, tu sais, comme Sylvia, avec des aigues-marines et des saphirs, ça irait bien avec le turquoise de mes nouvelles lentilles non ? » J'espère qu'elle voit encore quelque chose à travers ses océans, on a vite fait d'se prendre les talons aiguilles dans une algue ici..
- Oh, t'es en forme toi aujourd'hui ! C'est l'soleil qui t'inspire comme ça ? Ça t'réchauffe l'amertume ? Profites-en, avec tout ce monde, y a moyen d'se mettre quelques piécettes dans l'chapeau ! Chante-nous donc un p'tit quèqu'chose, le cloch'artiste, qui fasse rire le bourgeois, un p'tit air d'« opéra-bouffe » comme tu dis !
- Attends, je crois que j'ai ce qu'il faut :
« Quand nous irisons
Tous nos horizons
D'émeraudes et de cuivre,
Les gens bien assis
Exempts de soucis
Ne doivent pas nous poursuivre. »
- T'as trouvé ça là tout d'suite, ou tu l'avais en réserve ?
- Un peu des deux, Lulu, un peu des deux..
- Bah c'est joli comme tout hein, mais t'es sûr qu'ça va les faire rire ?
- Ah Lulu, ça fait pas assez longtemps que tu dors sur le seuil de pauvreté. Il suffit pas de les faire rire pour se remplir l'estomac. Écoute la suite, tu vas comprendre :
« On devient très fin,
Mais on meurt de faim,
A jouer de la guitare,
On n'est emporté,
L'hiver ni l'été,
Dans le train d'aucune gare. »
- Ah ça c'est sûr que parti comme c'est, ta chanson elle va pas nous amener bien loin...
« Le chemin de fer
Est vraiment trop cher.
Le steamer fendeur de l'onde
Est plus cher encor ;
Il faut beaucoup d'or
Pour aller au bout du monde. »
- Euh, t''es sûr que ça rapporte à manger ce genre de truc ? Genre, on fait la manche pour aller en Angleterre, prendre l'heureux-star, ou je sais plus quoi ? Des clodos qui chantent pour faire une croisière ! T'as bu trop d'bière toi !
- Regarde autour de toi Lulu, regarde les journaux, regarde la télé (celle du café d'en face), c'est comme ça que ça marche, aujourd'hui. Il faut faire rire, oui, d'accord, mais surtout, il faut choquer, pour attirer l'attention des gens comme eux sur des gens comme nous. Il faut choquer, et faire peur, aussi :
« Donc, gens bien assis,
Exempts de soucis,
Méfiez-vous du poète,
Qui peut, ayant faim,
Vous mettre, à la fin,
Quelques balles dans la tête. »*
- Il leur faut du sensationnel, quelque chose à raconter à leurs galas de charité, « oh mais rendez-vous compte, Sylvia, ils ont tellement faim qu'ils seraient prêts à nous tuer, c'est affreux, non ? », « Henri-Paul, vous avez entendu ! Faites quelque chose, vite, donnez lui de quoi se nourrir... nous n'allons pas mourir de sa faim tout de même.... ». Je sais c'que tu vas dire, Lulu, c'est moche, c'est pathétique, mais c'est comme ça. Les stars aussi le font, pas toutes non, surtout les nouvelles, tu sais, les « authentiques », bien du terroir, télé-recyclables à volonté, qui « pètent des câbles » parce qu'ils n'ont pas les chaînes satellite. Le scandale, Lulu, le scandale.. « Sois scandaleux, ou tu s'ras un dalleux » !
- Ouais, ben, écoute, t'as p'têt raison, et t'es ptêt' doué pour faire des rimes, mais ça va surtout nous attirer des problèmes, tes histoires : « Eh m'sieur l'agent, y a deux types là-bas, y menacent de tirer sur les passants si on leur donne pas d'argent pour leur croisière autour du monde ! » Tu veux finir en taule ou quoi ?
- C'est bien c'que j'dis Lulu, si tu fais du scandale, t'as plus la dalle...
(* : Aux imbéciles)