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Les lynx et les loups, on les bousille un point c'est tout !

Par Baudouindementen @BuvetteAlpages

Braconnage - Lini Paccolat, 90 ans, est un braconnier qui s’assume. Il raconte ses aventures de hors-la-loi dans les forêts valaisanne. Enquête: Commerce de viande et trafic d’armes: le point sur l’affaire de braconnage qui défraie la chronique en Valais

Légende vivante de la chasse en Valais, Lini Paccolat est un des rares – si ce n’est l’unique – braconniers à assumer ses actes publiquement. Et à les expliquer. Le dur à cuire a 90 ans. Mais ses aventures qui se racontent de bosquets en cabanes régaleront encore des générations de disciples de saint Hubert. En attendant que la fonte des neiges lui rende son chalet à Champex d’Alesse, transformé en musée où les trophées de chasse côtoient les peaux de lynx, il nous a reçus chez lui, à Dorénaz, pour des confidences entre le fusil à grenaille et le vieux radiateur.

« Je suis un braconnier honnête »

« J’ai commencé tout jeune. A 17 ans, j’ai tiré un beau bouc (de chamois) et je l’ai ramené. Maman était contente même si elle avait peur que je me fasse prendre. Dans les années 39-40, on avait les coupons de rationnement pour la viande. Je ne me suis plus arrêté. Une passion, ça ne s’arrête pas comme ça.

J’ai tout noté dans un carnet. J’ai tiré 350 chamois dans ma vie. Combien illégalement ? Une centaine peut-être. Mais attention, je ne tire pas tout. Un bouc ou une combine comme ça. Mais pas des femelles avec leurs cabris, qui allaitent encore. Il ne faut pas y aller n’importe quand non plus. Depuis avril ou mai, il ne faut plus y aller. Les bêtes sont maigres. Il faut aussi penser à la jeune génération, qu’elle ait encore du gibier. J’ai chopé des amendes pour avoir tiré des chamois quelques jours avant l’ouverture de la chasse. J’ai dit au garde: « Pas de problème, t’as fait ton boulot. »

Attention: je tire un chamois pour le porter à la maison mais pas pour le commerce de viande. Ceux qui tirent des daguets font du trafic d’armes et vendent la viande sont des crapules. Je suis un braconnier, mais un braconnier honnête.

Ma passion, c’est les prédateurs, les renards, les lynx, les loups. Ça, les lynx, pas de problème ! Parce qu’ils ont été introduits clandestinement par les écolos qui n’ont demandé leur avis à personne. Je n’ai pas peur de le dire. Les lynx et les loups, on les bousille, un point c’est tout. Enfin, les lynx, on les piège. On ne peut pas les tirer, on ne les voit jamais. J’en ai peut-être piégé une dizaine. On fait des collets, ils se prennent la tête dedans et ils sont pendus. Ils étouffent. Ça, ça fait deux ou trois ans que je ne l’ai plus fait. Mais j’ai des copains qui s’en occupent. J’ai formé des jeunes. On ne se laisse pas faire comme ça.

Vous savez, quand on retrouve des mamans de chevreuils tuées par le lynx et qu’il y a encore le petit parce qu’elles allaient mettre bas, ça nous fait mal. Nous, c’est «A mort contre les félins». C’est à nous de nous en occuper, pas à ces crapules d’écolos. J’ai eu une monstre enquête une année. Mais j’ai toujours été soutenu par le service de la chasse parce qu’il n’en veut rien non plus, des lynx. Mon pauvre ami! Vous savez ce qu’ils disent les gardes-chasses? «Des Lini, il en faudrait dix

En somme, je n’ai pas le droit de faire ce que je fais, mais je rends service à tout le monde. Des loups, je n’en ai jamais tiré, mais j’ai des connaissances qui en ont tiré, à Champéry. Je vais aussi à l’affût au renard. C’est autorisé de décembre à mi-février, mais si j’en vois un maintenant, je le tire, je mets de côté les pattes au congélateur et je les amène à l’automne au service de la chasse pour toucher la prime. J’ai 90 ans. Je n’ai jamais eu peur de rien. A 20 ans, je suis allé à la chasse dans le val Ferret. C’était interdit de tirer les femelles de chamois. J’ai passé le col et je suis allé tirer mon chamois au Grand Paradis, sur les réserves du roi d’Italie. Si j’avais été pris, je crois que je serais encore en prison. Je l’ai touché. Il a fait 50 mètres et il est tombé. C’était rouge de sang sur le glacier. L’aigle royal est venu lui tourner dessus et s’est posé sur le chamois pour me le piquer. Je lui ai envoyé une balle mais j’étais trop loin. Je l’ai loupé.»

« Le braconnier aime la nature, il méprise le viendard »

Pour les braconniers, repentis ou assagis, que nous avons rencontrés, il y aurait un «art noble» du braconnage, à différencier de la traque sans foi ni loi à l’échelle industrielle et à vocation commerciale. Récit et témoignages après l’affaire de Naters.
Depuis la semaine dernière, on sait qu’il y a deux braconniers de moins dans les forêts valaisannes. La police cantonale et le service de la chasse se sont félicités d’un joli coup de filet à Naters. Dix-neuf actes de braconnage avérés. Auxquels il faut ajouter les 120 trophées (des crânes naturalisés) et le véritable arsenal – 91 fusils de toutes sortes – retrouvés chez les protagonistes, révélant un réseau beaucoup plus vaste, articulé autour du trafic d’armes et du commerce de viande.
Treize personnes ont été entendues et, selon les dernières informations, un boucher de la place serait impliqué. Les bosquets bruissent. Les détracteurs des disciples de saint Hubert ricanent. Et voilà le monde de la chasse sommé de s’expliquer, une fois de plus, sur ses pratiques obscures.
« Cette affaire n’est en rien la pointe de l’iceberg », jure le chef du service de la chasse, Peter Scheibler. Il « espère et pense que ce genre de cas sont rares. Je ne peux pas me prononcer sur une affaire en cours, mais nous sommes apparemment confrontés à un groupe organisé et qui, en plus, a utilisé des armes et des équipements interdits. C’est intolérable. »

Échelle industrielle

Les braconniers, Peter Scheibler connaît. Mais les malotrus pris à partie par son service, « peut-être trois ou quatre selon les années », sont généralement coupables d’avoir tiré « une biche, un faon de cerf, un cerf mâle, parfois deux cerfs en même temps », à peine. « Là, ça atteint une autre dimension. Je crois que c’est le cas le plus important depuis mon arrivée à la tête du service de la chasse, en 2001. » C’est, sans doute, très involontairement que Peter Scheibler ne cite pas le cas de quatre viandards ayant sévi, dans deux affaires différentes, à Liddes et à Nendaz, en 2003. Les premiers ont fait leur mea culpa pour treize actes de braconnage. Chez les seconds, les perquisitions ont mis au jour 419 trophées et 130 kilos de viande.
Voilà pour l’inventaire non exhaustif, les statistiques qui n’en sont pas, la partie visible des délits de chasse. Pour la face sombre, les histoires interdites, et les règles qui prévalent dans le milieu, L’illustré a rencontré des braconniers, assagis ou repentis, anonymes ou qui s’assument. Ils nous ont raconté leur monde de l’intérieur. Au risque de parodier les Inconnus ayant si efficacement brocardé la mauvaise foi des chasseurs dans un sketch mémorable, ces derniers distinguent, avec beaucoup de conviction, le « braconnier d’époque » du « viandard », précisément. Il y aurait un art noble de la braconne. Et sa facette honteuse. Louis* a fait partie du bon groupe et nous accueille, dans son carnotzet, avec un livre de Frédéric Rouge, peintre-chasseur dont la devise était: « Trois mois de chasse, trois mois de pêche, six mois de peinture. » Pour Louis, « un bon braconnier est quelqu’un de la nature, le nez dans la forêt. Il joue avec les fourmis, attrape un papillon, puis un poisson. Un beau jour il revient avec un chevreuil. Il aime les champignons, la botanique, les minéraux…» Son activité n’aurait aucune visée commerciale, ni pour la viande ni pour les trophées. « Voir l’équipement de ces gens, les véhicules, l’arsenal, les lunettes à vision nocturne, et le commerce de viande et de trophées, cela soulève le mépris des vrais amoureux de la nature et de la chasse.»
Distance encore dans la façon d’enfreindre la loi. « Le braconnier ne veut pas ramener une bête à tout prix mais en convoite certaines seulement. Il va plutôt tirer dans les réserves pour laisser du beau gibier aux chasseurs dès l’automne. Et comme le bon braconnier est en général aussi un chasseur..

Le cas jurassien

Dans ce monde-là, la culpabilité n’existe pas. Louis choisit scrupuleusement ses mots, qui semblent du coup minimiser les infractions. « On se sent comme un gamin qui ramasse une pomme dans un verger. On s’approprie une chose sans avoir la permission de le faire. Mais quand vous prélevez discrètement un lièvre ou un chamois vous n’avez pas l’impression de délester quelqu’un. » On dirait un poème, une peinture, un conte de fées. Or, un beau jour, les choses se gâtent. Et Louis d’expliquer combien de fois il l’a « échappé belle » face aux suspicions des gardes chasses, l’usage de silencieux et subterfuges en tous genres. C’était jusqu’à la dénonciation d’un pair, à l’autre bout de la pelote. « La perquisition, ça fait drôle. Vous n’avez plus d’intimité. Ils fouillent tout. Ça m’a peiné même si, socialement, j’ai eu l’impression qu’on vous pardonne si vous n’êtes pas dans l’excès. »
Ses méfaits remontent à plus de dix ans, mais Louis ne parle toujours pas du montant de son amende. « Si le braconnier est aussi un chasseur, la pire sanction pour lui c’est le retrait du permis. Pour les autres, c’est une amende salée.» Le Tribunal fédéral vient de statuer sur une affaire de braconnage et commerce de viande dans le Jura, venant rappeler que le Valais n’a pas le monopole de ces pratiques.

Un ex-garde chasse auxiliaire impliqué devra payer 90 000 francs de réparation au canton et plus de 20 000 francs solidairement avec ses trois complices, excités du canon, qui avaient abattu illégalement 87 chevreuils, 8 chamois, 26 lièvres, 9 sangliers et 1 chouette. Encore des viandards. Louis a sa façon bien à lui de divulguer son impressionnant palmarès. « Un braconnier comme moi tire en une vie ce qu’un lynx mange en un an, 50 à 60 bêtes. » Pour lui, tout ça c’est fini. « Je me suis débarrassé de mes fusils de braconne. Les garder, cela aurait été comme laisser un morceau de fromage devant une souris. »
* Nom connu de la rédaction

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