Une production du Retour d’Ulysse de Monteverdi inaugure le TGP de Saint-Denis, fermé pendant près d’un an pour des travaux de rénovation. L’occasion pour la Brèche d’y revenir, aussi, deux ans après un Couronnement de Poppée dont le succès mérité avait surpris.
Un théâtre ouvert
Fondé en 1960 dans une ancienne salle des fêtes progressivement aménagée pour recevoir comédiens et public dans des conditions acceptables, le Théâtre Gérard Philipe (ou TGP pour les habitués), centre dramatique national depuis 1983, attendait depuis des années les travaux qui s’achèvent tout juste et permettront à son directeur depuis 2008, Christophe Rauck, d’y assurer pleinement les missions de création et de démocratisation qui sont les siennes.L’élégant bâtiment Belle époque aux allures de bal populaire abrite une grande salle totalement rénovée, avec une capacité inchangée de 500 places, mais désormais d’une volée au lieu d’un balcon exigu. Résultat, plus d’espace et de confort pour les spectateurs, le tout pour des choix de tarification toujours attractifs : catégorie unique, placement libre, plein tarif à 22 €, formules d’abonnement à 80 euros les 8 places… Le nouveau volume de la salle, plus haute, ainsi que la mise à plat de la scène, ont en revanche un peu éloigné le public de la scène, et créent une nouvelle donne acoustique moins profitable à certains répertoires (comme dans le cas de l’opéra dont il est ici question).
Le TGP peut ainsi dès maintenant retrouver une programmation complète dans ses trois salles. Après le Retour d’Ulysse de Monteverdi jusqu’au 6 avril, le méconnu et baroque Iphis et Iante d’Isaac de Benserade sera présenté du 15 avril au 6 mai, puis le festival Vi(ll)es prendra le relais à partir du 14 mai.
Un Retour tant attendu…
Il y a deux ans, le Couronnement de Poppée de Monteverdi était l’occasion d’une première rencontre entre Christophe Rauck et Jérôme Corréas. Le résultat avait séduit, et remporté un grand succès qui l’avait mené jusqu’à la scène de l’opéra de Versailles. Certains choix qui avaient séduit dans Poppea sont de nouveau expérimentés ici, notamment une forme de parlé-chanté qui rend au Ritorno son identité de théâtre en musique — dramma per musica — et l’éloigne de modèles trop lisses calqués sur un opéra plus tardif. De même, on ne peut qu'apprécier la capacité de Rauck et Corréas à souligner la coexistence du drame et de scènes comiques parfaitement assumées. D’autres choix surprennent pourtant. Si les quelques coupures pratiquées n’ont rien de choquant, on peut questionner l’intérêt d’ajouter avant le prologue le madrigal Hor ch’el ciel du livre VIII, un peu hors de propos. De même la transposition de voix de tessitures graves vers les dessus et vice versa ne se justifie guère, à moins de souhaiter entretenir l’image folklorique d’une musique baroque dans laquelle les hommes chanteraient des rôles de femme et vice versa. Le continuo présente quant à lui une variété de timbres séduisante mais qu’on aurait aimé mieux exploitée encore.Christophe Rauck parvient de nouveau à construire un spectacle visuellement séduisant, avec quelques tableaux très réussis, même si certaines métaphores visuelles paraissent un peu trop inconsistantes — les femmes-bougies dont on ne sait si elles se consument de chagrin, d’impatience, d’ennui ou de désir, sans refléter pour autant une ambiguité dont la mise en scène aurait pu jouer. La capacité évidente à faire jouer aux chanteurs une vraie pièce de théâtre chanté convainc surtout, et correspond aux choix musicaux initiés par Corréas. La tension dramatique souffre cependant d’une tendance quelque peu caricaturale à l’opera buffa, ce dont découlent certains choix un peu obscurs, comme l’effacement du suicide d’Irus ou l’allègement du caractère politique des prétendants de Pénélope, mués en amoureux transis plus ridicules qu’inquiétants.
Suite au succès de Poppea, et en attendant peut-être un hypothétique Orfeo — apparemment pas d’actualité — le Retour d’Ulysse permettait donc de nourrir quelques espoirs et comble le public. Après avoir été dévoilé au public de Châtenay-Malabry en janvier, puis dans plusieurs villes franciliennes et à Reims, la production restera à Saint-Denis jusqu’au 6 avril et rejoindra Nice fin mai.
Claudio Monteverdi (1567-1643) & Giacomo Badoaro (livret)
Il ritorno d’Ulisse in patria (Le retour d’Ulysse dans sa patrie)
ARCAL : Jérôme Billy (Ulysse), Blandine Folio Peres (Pénélope), Jean-François Lombard, Carl Ghazarossian, Virgile Ancely
Mise en scène : Christophe Rauck
Ensemble Les Paladins, direction musicale : Jérôme Corréas
Au TGP de Saint-Denis.
Jusqu'au 6 avril. Informations et réservations sur le site du TGP et au 01 48 13 70 00.
Agenda : La Ronde de nuit, création collective
Le théâtre Aftaab est comme un rejeton du Théâtre du Soleil, né d’une rencontre en 2005, en Afghanistan, d’Ariane Mnouchkine avec quelques jeunes qui décidèrent de fonder une troupe, le théâtre Aftaab. Après quelques années de couveuse et d’apprentissage, et quelques spectacles remarqués comme Ce jour-là sous la direction d’Hélène Cinque et Œdipe, tyran sous la direction de Matthias Langhoff, le théâtre Aftaab prend son envol avec La ronde de nuit présenté dans les nefs du Théâtre du Soleil du 27 mars au 8 avril. Un spectacle en français et dari surtitré, et dans une mise en scène d’Hélène Cinque.« Un hiver, quelque part en France. Un gardien et son théâtre à la charpente fragile et usée deviennent, pour une nuit, l’hôte et le refuge d’hommes et de femmes venus d’Afghanistan. L’oreille patiente des récits de ces occupants à la vie déracinée. L’abri inlassable des blessures et des douleurs. L’asile enfin, inattendu, des rêves et des espoirs que cette nuit d’éveil parvient à convoquer. »
La Ronde de nuit, création collective
Théâtre Aftaab en voyage
Mise en scène : Hélène Cinque
Au théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes.
Jusqu'au 8 avril. Informations et réservations sur le site du Théâtre du Soleil et au 01 43 74 24 08.
Crédits iconographiques : 1-2. Le TGP de Saint-Denis © 2013 La Brèche -| 3-5. © 2013 Anne Nordmann | 6. © 2013 D.R.